Iván Horváth : Après le e-book, le f-book

Nous considérons la gratuité des bibliothèques sur Internet comme étant une chose naturelle mais depuis peu, on trouve aussi parmi les éditeurs en ligne quelques uns mettant a la disposition des utilisateurs leurs produits en accès libre de droit. Quelqu'un rémunère le travail de l’écrivain et de l'éditeur mais ce n'est pas le consommateur. Un phénomène similaire existe sur le marché du logiciel : le code source de logiciels de grands noms (tels GNU/Linux, FreeBSD) est public et leur copie est autorisée.

On peut imaginer que le nouveau millénaire offrira l'opportunité a l'édition spécialisée d'effectuer une mutation. Un nombre croissant de publications voient le jour, publications dont le financement et la consommation ne sont plus liés, a l'instar du commerce du livre mais, au contraire, dissociés, sur le modeler des bibliothèques. Tablant sur le prochain échec de l'onéreux « e-book », l'éditeur virtuel Gépeskönyv a fait l'acquisition durant l'été 2000 du nom de domaine « f-book.com » et l'a mis a la disposition de la nouvelle tendance. (« F-book means free book »). En 2001, l'École polytechnique du Massachusetts (M.I.T.) a instauré la gratuité de sa presse virtuelle. Un mouvement s'organise a l'encontre de certaines revues savantes qui ne sont pas disposées a rendre accessible sur la Toile tout au moins leurs anciens numéros. Un éditeur universitaire virtuel français est en instance de création et on peut présumer qu'il mettra ses ouvrages a la disposition du public en accès libre de droit.

Et ce tournant ne se borne pas a l'édition des livres et des revues spécialisés. Il est assurément nécessaire de réglementer a nouveau le système de subventions culturelles ayant prévalu jusqu'a présent au niveau national (ou supranational, au niveau de l'Union européenne). C'est pourquoi je voudrais soumettre a débat les assertions suivantes.

Je pars du principe que l'on ne doit utiliser l'argent public que pour l'acquisition de ce dont le contribuable peut avoir la jouissance. Les dépenses a titre culturel possèdent cette caractéristique puisque théoriquement tout réalisation scientifique est reconnue d'utilité publique, de même que toute statue est offerte a la vue de tous. Suite a la révolution informatique, la possibilité est offerte au contribuable, non seulement en théorie mais également en pratique, d'accéder a une partie de plus en plus importante des réalisations culturelles créées grâce a l'argent public. Je pense qu'il serait injuste de les en priver.

1. La diffusion

1.1 Il n'est guère possible d'obliger la République ou l'Union européenne de transmettre a tous les contribuables la totalité des réalisations culturelles subventionnées par l'argent public. Ce n'est pas parce qu'on le peut, qu'on le doit. (La possibilité ne doit pas être transformée en une obligation.)

1.2 Cependant on n'a pas a contrecarrer l'action de celui qui se propose, a titre gratuit ou non, de diffuser les réalisations culturelles issues du financement public a l'intention des contribuables.

1.3 Il ressort de ceci qu'aucune institution n'est en droit de confier la diffusion des réalisations culturelles issues du financement public a un soumissionnaire posant comme condition un droit d'exclusivité. Les accords de diffusion culturelle excluant une troisième partie porte atteinte au droit accès des contribuables.

2. La conservation

2.1 On ne doit pas restreindre le droit accès des contribuables aux fonds des collections publiques - en tenant compte des réglementations particulières (telles que celles concernant la protection des objets rares) même si une partie du fonds n'a pas nécessairement été financée par leurs contributions.

2.2 Il ressort de ceci que les collections publiques n'ont pas non plus le droit de confier la diffusion de leur fonds a un soumissionnaire qui poserait comme condition un droit d'exclusivité. Les accords de diffusion culturelle des fonds de collections publiques excluant une troisième partie porte atteinte au droit accès des contribuables.

Exemple : Les collections publiques qui ont vendu le droit exclusif de diffusion numérique des oeuvres, dont ils ont la garde, a un célèbre fabricant de logiciel, portent atteinte au droit et a la morale ; leurs contrats sont par conséquent non valides. Les collections publiques ne peuvent pas disposer sans limite du droit de propriété attaché aux biens a eux confiés. Elles ne sont pas propriétaires des biens qu'elles conservent.

3. L'oeuvre

3.1 Le créateur subventionné par des fonds publics est aussi en droit d'accepter une rémunération pour la diffusion de son oeuvre.

Exemple : Un orchestre subventionné par la République ou l'Union européenne passe, dans l'intérêt de ses membres, les contrats avec les médias ou l'éditeur de support audio de son choix. Un homme de science subventionné par l'argent public peut a bon droit vendre ses brevets, si l'accord souscrit avec son employeur le permet.

3.2 Cependant on ne doit pas financer avec le dernier public l'oeuvre dont l'auteur exige de l'argent au titre du droit de diffusion et qui, dans le cas d'un défaut de paiement, ne rend pas son oeuvre accessible au contribuable ; de la même façon, on ne doit pas a donner de l'argent public a un homme de science qui ne rendrait pas publiques, a titre gratuit et sans délai, ses communications a l'attention du contribuable.

Exemple : ne dressons pas de ces statues sur la place publique, n'élevons pas de ces édifices publics que l'on ne peut entrapercevoir qu'en s'acquittant d'un droit particulier. Pour la même raison, ne contribuons pas non plus avec de l'argent public a ces oeuvres littéraires qui ne peuvent devenir accessibles gratuitement, sur les étagères des bibliothèques virtuelles. Ne faisons pas fonctionner de ces orchestres et opéras subventionnés par la République ou l'Union européenne si leurs membres peuvent selon leur bon vouloir accorder ou retirer le droit de diffusion (auprès des contribuables) des données audiovisuelles produites durant les représentations. N'employons pas d'hommes de sciences au sein d'universités et de centres de recherches publics si les résultats obtenus en leur sein (ceux de la Défense nationale mis a part) ne peuvent sans délai se transformer en biens publics.

3.3 En revanche, il ne faut pas diffuser sans le consentement de son auteur une oeuvre pour laquelle son auteur n'aurait pas recouru a des fonds publics.

Exemple : on ne peut qualifier d'honnête l'utilisation de logiciels rendant possible le troc sur Internet de banque de données musicales que dans le cas ou la banque de données existe grâce a l'emploi de fonds publics (orchestres symphoniques). Il est malhonnête d'encourager qui que ce soit a pouvoir utiliser gratuitement les prestations d'entreprises du secteur privé (groupes a succès de musique légère).

4. Perspective

4.1 La communauté même est propriétaire, et non les établissements ou les travaux ont pris place, du droit d'exploitation de toutes les données - non exclusivement culturelles - ayant vu le jour grâce au financement de la communauté.

4.2 Il est probable que les contribuables souhaitent alors que d'autres contribuables membres de communautés différentes (d'États différents) puissent avoir accès - sur une base de réciprocité - aux données culturelles leur revenant de droit. Ils récuseront l'isolationnisme de la République ou de l'Union européenne.

4.3 Si après l'instruction gratuite (pour l'essentielle) et la diffusion de programmes du service public (en substance gratuite), le consommateur n'a plus a supporter directement les dépenses d'autres domaines culturels cela signifie que la culture prendra sa place au sein des système sociaux de répartition, au même titre que la santé publique ou le régime des pensions.

4.4 Sur ce plan - tout comme sur le plan des traditions plusieurs fois centenaires de subvention centrale a la culture - l'Union européenne peut se trouver en position avantageuse face aux États Unis mais pas face à la sphère asiatique.


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