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Anikó Kalmár:
Un type original de publication : les recueils collectifs sous Richelieu

Le présent travail a la modeste prétention de présenter la pratique et les spécificités des recueils collectifs à une époque où la poésie devint un instrument privilégié de la propagande monarchique, sous le règne de Louis XIII et de son ministre omnipotent, le cardinal Richelieu.

Notons que ce type de publication n'est pas l'invention de ce siècle.[1] Depuis les années 1530-1535 plusieurs compilations de ce genre avaient été réalisées par les éditeurs. Dans la plupart des cas, il s'agissait d'ouvrages réunissant des pièces déjà publiées dans des volumes antérieurs. En revanche, au XVIIe siècle on peut observer une transformation sensible lorsque ces recueils, tout en répondant au goût d'un assez large public désireux de connaître les dernières nouveautés, deviennent des anthologies de pièces inédites. En ce sens, les recueils collectifs se prêtent à être considérés comme une forme primitive de la presse périodique, une sorte de revue littéraire offrant une infrastructure importante de publication.

Il en parut une soixantaine au cours du siècle.[2] Dans les vingt premières années leur vogue se manifeste par une parution régulière. En général le rythme était d'un volume par an.[3] C'est l'époque du réveil de l'activité poétique et de l'essor de l'imprimerie, longtemps gênées par les guerres étrangères et les troubles intérieurs. En 1599 un éditeur écrivait en tête d'un recueil de poésies : " Les Muses dispersées par l'effroi de nos derniers remuements en tous les endroits de la France, et comme ensevelies dans les ténèbres d'une profonde nuit, commencent de voir le jour au lever de cette Aurore et bienheureuse Paix. "[4] Le retour de la paix apporta une véritable renaissance de la vie littéraire, qui se traduisit par la parution d'une série de volumes riches de pièces inédites.

Ces recueils collectifs remplissaient deux fonctions essentielles : offrir une occasion aux auteurs de faire connaître au public leurs dernières œuvres et manifester des prises de position différentes. Quant à la première, la chose n'allait pas toujours sans inconvénient : ces volumes étaient, dans la plupart des cas, fruits des opérations éditoriales. Cela dit, l'éditeur assumait toute responsabilité dans l'affaire : c'est lui qui choisissait les pièces à publier et en même temps, il supportait les frais d'impression. Il lui arrivait parfois de se passer de l'autorisation de l'auteur - personnage après tout essentiel dans l'affaire - ce qui créait quelques malentendus ou provoquait des protestations de la part des poètes. Cependant ils étaient nombreux à se soumettre à cette forme de publication. On comprend bien leurs motifs. Sans aucun doute, pour eux le principal profit était la conquête de renommée. Pour un jeune poète n'étant pas en mesure de donner un ouvrage entier de sa plume, figurer dans une publication collective, en compagnie d'auteurs connus et reconnus, représentait un véritable privilège, car cette situation lui assurait des gains rapides de notoriété.

On sait que le métier d'écrivain payait mal à l'époque. Les poètes vivaient dans des conditions misérables s'ils n'étaient que poètes. Pour gagner leur vie, ils se trouvaient dans la nécessité d'entretenir des relations laudatives envers leurs protecteurs ou ceux qu'ils souhaitaient voir devenir tels.[5] Par ailleurs ils étaient toujours en quête de pensions, de charges ou de bénéfices. Ainsi les conditions matérielles de la publication n'étaient point négligeables pour " les favoris d'Apollon ". Or, le recueil collectif était un excellent moyen de se faire connaître sans aucun frais. Cela implique évidemment que les auteurs ne purent toucher des revenus de leurs ouvrages, mais trouvaient pourtant de l'intérêt dans l'affaire : en s'exerçant ainsi comme poètes, ils se faisaient un renom plus ou moins durable dans le monde des lettrés. Car ces volumes proposaient au public le meilleur de la production poétique : nouveautés heureuses ou pièces dont le succès a perduré. Il suffit d'examiner le contenu des recueils collectifs à une période donnée pour se faire une image fidèle des forces dominantes en matière de poésie. Ces volumes peuvent être considérés comme des pierres de touche de la renommé littéraire : le nombre des pièces composées par un même auteur dans un recueil collectif, et surtout l'évolution de ce nombre, est un moyen de connaître le succès public du poète en question à une époque donnée.

Au XVIIe siècle on voit coexister deux types de recueils collectifs : les recueils satiriques[6] , réunissant des pièces de caractère érotique, et les recueils plus proprement littéraires. Les premiers sont extrêmement populaires dans les vingt premières années du siècle, étant le reflet du mouvement libertin qui gagna à l'époque une bonne partie de la jeunesse noble. Ces recueils satiriques représentaient une spécialité quasi parisienne et toute une branche de la librairie vivait de ce type de productions. Ce sont les volumes de la Muse folastre (1600-1607), les Muses inconnues (1604), le Cabinet satirique (1618) et le Parnasse des poètes satiriques (1622), pour ne citer que les titres les plus connus. L'emprisonnement du chef de fil des libertins, Théophile de Viau, coupa court au développement de cette littérature et les recueils collectifs satiriques disparurent très vite des librairies. Le succès des recueils plus proprement littéraires s'avéra beaucoup plus durable.

La majorité de ces volumes forment des " recueils généraux "[7] qui réunissent les pièces les plus diverses des auteurs les plus divers. Le critère principal du choix du collecteur est bien évidemment la renommée de l'auteur. Celui qui a déjà prouvé ses qualités de poète, pourra assurer le succès du livre. Par conséquent, il a droit à certains privilèges : son nom peut figurer dans le libellé du titre, sa pièce sera placée en tête du recueil, il aura le droit de donner plusieurs pièces…

La présentation de ces volumes suit quelquefois un ordre thématique, alphabétique ou chronologique, mais souvent aucune règle ne semble justifier la composition. D'où le caractère hétérogène de ces recueils tant du point de vue du contenu que de celui de la forme. Les hostilités personnelles n'intéressent pas les lecteurs, pour lesquels Desportes et Malherbe ne sont pas des ennemis déclarés mais des auteurs dignes d'être placés dans une anthologie. Car maints recueils généraux associent des représentants de différents courants ou de différentes écoles. Les motifs de l'éditeur ne nécessitent aucune explication : il espère pouvoir vendre le plus grand nombre d'exemplaires. Pour arriver à son but, il promet de donner ce qu'il y a de mieux en la matière. Aucun autre critère de choix ne s'impose. A cet égard les titres des recueils sont éloquents : Le Parnasse des excellents poètes françois (1607), Nouveau Recueil des plus beaux vers de ce temps (1609), Délices de la Poésie françoise (1618 et 1620) … etc. Dans les Délices de 1620, Malherbe et les malherbiens, Maynard, Racan, Faret voisinent avec des auteurs hostiles au purisme comme Vauquelin des Yvetaux. Le progrès de la nouvelle école se fait sentir à partir de cette date. Son renforcement coïncide avec la stabilisation du pouvoir de Richelieu et lorsqu'en 1627 Toussaint Du Bray publie le Recueil des plus beaux vers de Messieurs de Malherbe, Monfuron, Maynard, Racan…, sa prééminence est définitivement consacrée. Ce recueil qui réunit les fidèles du grand maître, exprime tout naturellement une unité de vue commune aux poètes. A partir de 1630 on ne voit plus paraître des recueils collectifs généraux, mais seulement des recueils spécialisés exprimant une prise de position des auteurs. Ainsi Robert Bertault met-il au jour en 1633 Les Nouvelles Muses des sieurs Godeau, Chapelain, Habert, Baro, Racan, L'Estoile, Ménard, Desmarets, Malevile et autres, Sébastien Cramoisy en 1635 le Sacrifice des Muses au grand cardinal de Richelieu et le Parnasse royal. Ces trois volumes quasi officiels modifient considérablement le caractère et l'orientation des recueils collectifs. A l'unité de vue artistique des auteurs s'ajoute l'aspect politique de leur activité. Les poètes s'empressent de célébrer la gloire et les mérites des gouvernants. Richelieu, qui, dès son arrivé à la cour, s'est rendu compte du pouvoir de propagande des arts, était particulièrement sensible au sujet. Il aimait être entouré des artistes obéissants. Effectivement, sa figure a suscité un immense intérêt et a provoqué un concert général de louanges de ses adulateurs, porte-parole dévoués à sa politique. Le Cardinal était aux yeux des poètes un objet privilégié de glorification et de méditation sur l'héroïsme. Sous son influence se développe un lyrisme particulier, le " grand chant " officiel. La pratique de cette poésie était principalement le fait d'hommes proches du pouvoir par attachement ou par intérêt.

Évidemment la poésie de circonstance a une belle tradition depuis l'antiquité[8] . La figure de Mécène a toujours fasciné les gouvernants éclairés. Ils se complaisent dans le rôle de protecteur bienveillant des artistes. Il est clair que le statut de poète officiel est au moins douteux : parfois déshonorant , les poètes s'adonnent alors volontiers à de longues plaintes sur les misères de leur condition, parfois honorifique permettant aux écrivains de vivre dans l'entourage immédiat du roi, être connus et reconnus par la haute société[9] .

Richelieu, particulièrement soucieux de l'apparat du pouvoir, reconnut très vite que toute aide apportée aux artistes lui promettait de gains rapides en matière de politique.

Les trois recueils collectifs cités plus haut offrent l'exemple de la propagande royale par le livre. Le premier, Les Nouvelles Muses, objet de nos recherches, illustre parfaitement le caractère propagandiste de ce type de publication.

Quant aux circonstances précises de la composition des Nouvelles Muses, nous en avons peu de renseignements. Pour reprendre l'expression d'Antoine Adam "c'est le recueil de poésies de l'école malherbienne". Le principe organisateur adopté par le collecteur est donc d'une part l'appartenance des auteurs à l'école poétique de François de Malherbe, d'autre part leur dévouement à l'ordre établi. Le lien thématique qui unit les pièces de cette collection est facile à saisir : c'est l'éloge des gouvernants, du roi Louis XIII et de son premier ministre, le Cardinal de Richelieu. Le recueil s'ouvre par l'Ode au Roy de Godeau, pourtant ce n'est pas la figure du monarque qui domine par la suite. C'est une longue série de louanges du grand ARMAND, qui fait la destinée de la moitié de l'univers.[10] N'insistons pas sur l'outrance de l'expression des auteurs. C'est le langage habituel des poètes courtisans recherchant la faveur du Cardinal tout puissant.

Le recueil des Nouvelles Muses est déjà très intéressant du seul point de vue bibliographique : il s'agit en effet de deux volumes reliés ensemble.

La première partie, de la page 3 à la page 119, contient des pièces de Godeau, Chapelain, Racan, Maynard, L'Estoile, Desmarets et Baro. Après ces poèmes, on trouve une nouvelle page de titre, par cette désignation : Divers auteurs. Cette seconde partie paginée de 1 à 45 est aussi divisée en deux séries. La première (pp. 1-26.) porte en tête le titre suivant : " Vers sur une statue de Didon, faite en marbre par Cochet, et donnée à Monseigneur le Cardinal de Richelieu ", et rassemble 54 poèmes non-signés, dont 2 madrigaux, 5 sonnets et 47 épigrammes, tous écrits en français. La deuxième série (pp. 27-45), est introduite par cette inscription latine : " Pro marmorea et insigni statua Didonis ensem manu tenentis. A Nobiliss. Duce Monmorencio, illustriss. Et omnium celeberrimo Cardinali Richelio, rerumque gallicarum sapientiss. Moderatori dono data " à laquelle succèdent 48 poèmes. Ces 22 épigrammes et 26 distiques, eux aussi non signés, sont écrits en latin.

La première partie du recueil soulève peu de questions. Elle contient 11 pièces dont 7 odes qui font l'éloge des gouvernants. Ce sont les pièces par excellence de la poésie encomiastique, considérées à l'époque comme des éléments du prestige des gouvernants. Il est inutile de s'interroger sur leur degré de sincérité, cette manière d'expression poétique était dans l'air du temps et ces œuvres de circonstances constituaient des accessoires indispensables au pouvoir. Les poètes glorifient l'œuvre personnelle de celui qui a rétabli l'ordre dans le royaume, exaltent les heureux résultats de son action politique, grâce à laquelle le roi de France devient l'arbitre de l'Europe. Ils n'oublient pas les initiatives du Cardinal en faveur des lettres et des arts et rendent hommage au nouveau mécène. Les sept odes laudatives publiées dans ce volume ne dépassent en rien cette thématique. Les autres pièces, comme le Discours de la poésie de Desmarets, les Méditations sur le psaume XXXVI de Malleville et la Paraphrase du psaume de Jean Habert, diversifient légèrement l'aspect général du recueil.

La deuxième partie du volume mérite d'être examinée d'une manière plus approfondie. Non pas pour la valeur artistique des poèmes, mais plutôt pour la nature de cette entreprise poétique dont ils sont les fruits. Dans son ouvrage, l'historien Roland Mousnier[11] mentionne cette curieuse tentative qui consiste à réunir des poètes fidèles à Richelieu pour qu'ils composent des pièces de vers à propos de la Didon mourante du sculpteur Christophe Cochet. Cette statue de marbre à été offerte au Cardinal, dont la passion de collectionneur était notoire, par le duc Montmorency. Par ce don, surprenant au premier abord quand on se rappelle la triste fin de celui-ci[12] , le gouverneur rebelle du Languedoc espérait éviter de mauvais traitements à son épouse et à toute sa maison après sa mort.

Bien évidemment les poèmes que cette statue a inspirés ont été moins publiés en l'honneur du sculpteur qu'en celui de Richelieu. Le Cardinal pouvait se réjouir de rendre publique l'acte de donation par laquelle celui qu'il avait vaincu s'était humilié devant lui.

Il serait bien sûr inutile de chercher l'expression de pensées profondes dans ces poèmes assez vides du point de vue artistique. Nous avons toujours affaire à la même idée retournée de cent façons. La statue a la seule fonction de servir de prétexte aux poètes pour faire de la poésie. Le fait que ces pièces soient jointes à un volume de poèmes à la gloire du Cardinal est également significatif. Car malgré la simplicité et la légèreté de ces pièces, le ton semble être parfois sérieux. Ce sérieux est dû à la figure de Richelieu, si dominante dans le recueil et aux circonstances bien précises dans lesquelles cette statue lui fut offerte.

Reste le problème de l'identification des pièces. La première partie du recueil ne pose aucune question à cet égard. En revanche les poèmes sur la statue sont tous publiés anonymement. Dans les fonds anciens des bibliothèques parisiennes[13] - manuscrits ou imprimés du XVIIe siècle - nous avons déjà retrouvé quelques-unes de ces pièces, ce qui nous en a permis l'identification.

Concluons. Ce volume, ainsi que l'ensemble de la production collective du XVIIe siècle, constitue un témoignage important sur le mouvement poétique de l'époque et permet d'avoir une vue plus précise sur l'état de la poésie. Ces recueils destinés essentiellement à la vente, offrent un panorama du goût dominant du public. L'avantage que ces recueils représentent pour l'éditeur moderne, c'est qu'il y trouve des textes parus également dans les éditions des œuvres des poètes, souvent avec des variantes et qu'il lui arrive d'y découvrir des pièces inédites.

Lábjegyzet:
[1] Pour l'histoire voir la thèse de Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle, Genève, Droz, 1969.
[2] Il est difficile de faire le total exact du nombre de recueils collectifs. Il y avaient des contrefaçons, des rééditions revues et augmentées de nouvelles pièces ou parfois de simples changements de titres pour vendre les exemplaires invendus (c'était d'ailleurs le cas des Nouvelles Muses en 1634, lorsque Bertault s'est contenté de changer la page de titre de l'édition originale).
[3] Nous renvoyons une fois pour toutes sur ce sujet, à Frédérique Lachèvre, Bibliographie des recueils collectifs de poésies publiés de 1597 à 1700, Paris, 1901-1922, 4 vol.
[4] Dédicace des Muses françaises ralliées, Mathieu Guillemot, Paris, 1599, cité par Antoine Adam dans l'Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, Paris, Editions Mondiales, t.1, p.3
[5] Nous renvoyons ici au précieux travail d'Alain Viala sur la sociologie de la littérature à l'âge classique : Naissance de l'écrivain, Paris, Les Éditions de Minuit, 1985.
[6] Frédérique Lachèvre, Les recueils collectifs de poésies libres et satiriques (1600-1626), Paris, 1914.
[7] Cf. Henri-Jean Martin, op.cit.
[8] Cf. : Predrag Matvejevich, La poésie de circonstance. Étude des formes de l'engagement poétique, Paris, Nizet, 1971.
[9] Ronsard a réuni dans un même poème tous les aspects contradictoires du thème : la nostalgie de la liberté du poète, propice à la création et l'ambition du courtisan, éveillé par la chasse aux bénéfices. Cf. : Ronsard, Complainte contre Fortune (Laum. S.T.F.M., t. X., pp. 19-20.)
[10] Nous reproduisons ici le texte de François de Maynard : ARMAND, qui fais la destinée/De la moitié de l'univers/Et sur qui l'Europe estonée/ Tient les yeux fixement ouverts,/Mon soin ne cherche qu'à te plaire/ Et si ta faveur tutelaire/Commence de me soustenir:/Au gré des filles de Memoire ;/Mes vers seront à l'advenir/ Le plus beau portraict de ta gloire. (A Monseigneur le Cardinal, duc de Richelieu. Ode par le sieur de Maynard, vv . 30-40.)
[11] Roland Mousnier, L'homme rouge ou la vie du cardinal de Richelieu (1585-1642), Paris, Robert Laffont, 1992
[12] Henri II, duc de Montmorency (1595-1632) a été décapité à Toulouse le 30 octobre 1632, après avoir tenté de soulever sa province, avec l'appui de Gaston d'Orléans, contre Richelieu.
[13] Les recueils Conrart constituent un instrument particulièrement précieux pour ce travail.