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Kis Zsuzsa Eszter:
Arsace et Isménie, une perle rare de contes orientaux
Magyar összefoglalás

Charles Secondat de Montesquieu a publié sous l’anonymat diverses œuvres littéraires divertissantes ou satiriques dans lesquelles il a peint un monde inconnu et lointain, l’Orient. C’est un thème d’autant plus intéressant, qu’il n’est pas traité de manière exhaustive par les critiques. Je me propose d’examiner l’image de l’Orient dans un conte de Montesquieu, Arsace et Isménie, composée vers 1730, mais publiée après la mort de l’auteur. C’est une œuvre peu connue, et les critiques lui consacrent moins d’attention

La vision de l’Orient dans l’Arsace et Isménie s’éloigne du réel et s’approche d’un conte. Montesquieu y crée un monde magique et féerique, peuplé de djinns. Arsace et Isménie nous invitent à un voyage exotique agréable et voluptueux, où les deux sexes se complètent parfaitement. Montesquieu a dû s’inspirer sans doute de la série de contes orientaux des Mille et une nuits pour nous faire évader dans ce paysage magique.

La vision de l’Orient

1. L’image de l’Orient dans la littérature française du XVIIIe siècle

Pour pouvoir situer cette œuvre, il faut mentionner, que l’Orientalisme devient un sujet en vogue au XVIIIe siècle. Antoine Galland commence à traduire les Mille et une nuits en 1704. « Outre la succession rapide de l’impression des sept premiers tomes des Mille et une nuits, des volumes épuisées sont rééditées en hâte dès 1705 »[1] . Selon la thèse de Pierre Martino, Montesquieu a lu dès sa jeunesse les récits de voyage et les livres des conteurs arabes.

Martino affirme dans sa thèse que le goût pour l’Orient prend de l’importance après 1660, avec la multiplication des voyages et parallèlement celle des récits de voyage. Il démontre aussi que les écrivains de l’époque, faute d’informations suffisantes, dû aussi à la grande distance, n’ont tracé qu’ « une sorte d’Orient-type, factice et incomplet », même après une étude minutieuse des sources, dans certains cas : « Lieux périlleux ou porte de Paradis, illumination décisive ou naufrage des illusions, la Perse ne permet pas qu’on se complaise dans la ”littérature” et pourtant elle favorise le cliché » [2] .

Montesquieu, comme les écrivains contemporains n’avaient de l’Orient qu’une vision schématique, stéréotypée. Pour eux, l’Orient était toujours associé au despotisme, à la volupté, à la splendeur, à la cruauté ou à la sensualité. La généralisation et la stéréotypisation sont des caractéristiques communes de tous les écrivains de ce siècle.

Marie-Louise Dufrenoy, en suivant les pas de Martino, élargit dans son œuvre L’Orient Romanesque en France 1704-1789 les recherches de celui-ci en matière du roman, car Martino ne se concentre pas exclusivement au roman, mais traite également le théâtre, la satire et la philosophie, influencés par l’Orient[3] . Dufrenoy précise que : « l’Orient romanesque au XVIIIe siècle est formé de plusieurs courants distincts, ayant chacun son développement, son apogée, son déclin. Si nous considérons les trois catégories les plus nombreuses : la féerie, l’Orient galant, la satire, nous constatons que ces trois mouvements atteignent leur maximum de développement, non pas simultanément, mais successivement. La féerie se développe d’abord, étant l’imitation la plus immédiate et la plus proche de modèle fourni par les Mille et une Nuits. (…) La féerie orientale semble atteindre son apogée en 1743 »[4] . Cette découverte est intéressante de point de vue des œuvres de Montesquieu, car Arsace et Isménie, l’œuvre féerique, qui, comme nous allons démontrer, s’est inspirée des Mille et une Nuits, a été publiée en 1741, donc à l’apogée de la féerie orientale. Mais Montesquieu n’est pas le modèle-type de la chronologie établie par Dufrenoy, car il débute son œuvre orientale par la satire, notamment les Lettres Persanes, publiées en 1721, et ce n’est qu’une vingtaine d’années plus tard qu’il commence à écrire Arsace et Isménie.

L’Orient influence sans aucun doute les auteurs de l’époque, car cette terre peu connue, lointaine et toujours idéalisée a pu faire rêver aussi bien le lecteur que l’auteur : « La littérature d’imagination va user et abuser des ingrédients persans, que de titres nous frappent à cet égard : Les Mille et Un Jours, Les Mille et Un Quart d’Heures, Les Milles et Une Soirées, Les Mille et Une Faveurs, Le Cousin de Mahomet et La Folie Salutaire représentent assez bien une littérature de l’évasion enchanteresse, de la Perse ” séduisante ” »[5] .

2. L’Orient fantaisiste d’Arsace et Isménie

Arsace et Isménie, comme indique aussi le sous-titre est une histoire orientale, mais elle s’apparente plutôt à un conte. Pour nous faire ressentir l’exotisme, Montesquieu a attribué des noms à sonorité orientale aux personnages de l’histoire : « Arsace », « Isménie », « Ardasire », « Artamène » ou « Aspar ». Le côté fantaisiste de l’histoire est accentué par ailleurs aussi par le fait, que l’auteur a placé l’intrigue dans des pays exotiques qui ont existé dans l’Antiquité. C’est le cas de la Bactriane, le royaume d’Isménie, qui a été une « ancienne région de l’Asie centrale, dans le nord de l’Afganistan », ainsi que de l’Hyrcanie, le royaume ennemi de la Bactriane qui a été une « contrée de l’ancienne Perse, au sud-est de la mer Caspienne », de même que la Médie, pays d’origine d’Arsace, qui a été une « région du nord-ouest de l’Iran ancien »[6] . Seule la Margiane, le pays où Arsace part à la recherche de la gloire, est un pays imaginé. Montesquieu ne donne pas de descriptions de ces paysages, mais y fait allusion d’un moment à l’autre. Nous apprenons ainsi, que la Bactriane est un pays pacifique, par contre l’Hyrcanie un pays conquérant. La Margiane est un pays libre, car elle est « presque la seule d’Asie où les femmes ne sont point séparées du commerce des hommes »[7] .

Le paysage où Arsace et Ardasire se sont enfuis paraît de premier abord un endroit effrayant et rude : « ces montagnes qui sont remplies de tigres et de lions »[8] , mais nous découvrons très vite que la nature est moins brutale et dangereuse que le monde civilisé : « J’entrais dans un pays plus ouvert, et j’admirai ce vaste silence de la nature. Il me représentoit ce temps où les dieux naquirent, et où la beauté parut la première : l’amour l’échauffa, et tout fut animé »[9] .

Ce paysage où le couple retrouve son bonheur et vit dans la simplicité au sein de la nature devient petit à petit l’incarnation du paradis terrestre. La nature est associée au bonheur : « air riant », « chant des oiseaux », « murmure des fontaines », « danse de nos jeunes esclaves », « égalité de la nature », « joie naïve ». La nature personnifiée reflète le bonheur et l’amour parfait des protagonistes. Le champ lexical de la joie est présent dans le passage entier : « douceur », « sourit », « heureux temps », « voix charmante », « plaisir », « heureux », « partage ». Le mot « bonheur » est répété à plusieurs reprises, même à l’intérieur d’une seule phrase, pour insister sur ce sentiment : « Le bonheur faux rend les hommes durs et superbes, et ce bonheur ne se communique point. Le vrai bonheur les rend doux et sensible, ce bonheur se partage toujours »[10] . L’opposition de ces deux types de bonheur renvoie aux deux voies choisies par Arsace que nous allons découvrir par la suite.

Outre le caractère paradisiaque, Montesquieu a attribué aussi un côté magique à ce lieu du bonheur : « Par une fatalité que je ne saurois vous expliquer, je ne voyois aucune ressource, et j’en trouvois partout. L’or, les pierreries, les bijoux sembloient se présenter à moi. C’étaient des hasards, me direz-vous. Mais des hasards si réitérés, et perpétuellement les mêmes, ne pouvoient guère être des hasards »[11] . Arsace insiste sur le côté inexplicable et augmente le suspense en excluant toutes les possibilités d’une intervention humaine : « J’étois sûr qu’il n’y avoit pas un seul homme dans la Médie qui eût quelque connoissance du lieu où je m’étois retiré ; et d’ailleurs je savois que je n’avois aucun secours à attendre de ce côté –là. Je me creusois la tête pour pénétrer d’où venoient ces secours. Toutes les conjectures que je faisois se détruisoient les unes les autres »[12] .

L’insistance énergique sur le fait que la possibilité d’une aide humaine est exclue et parallèlement l’évocation par Aspar, le premier eunuque, interlocuteur de l’histoire racontée par Arsace, de « contes merveilleux » et de « certains génies puissants » agissent sur l’imagination du lecteur et l’emmènent dans un univers extraordinaire. Ce soupçon de magie est renforcé par les affirmations des interlocuteurs, Aspar et Arsace, qui disent respectivement : « Rien de ce que j’ai ouï dire là-dessus [sur les contes merveilleux et les génies] n’a fait impression sur mon esprit ; mais ce que j’entends m’étonne davantage : vous dites ce que vous avez éprouvé, et non pas ce que vous avez ouï dire »[13] ; « Je n’aime guère […] à dire des choses merveilleuses. Je vous dis ce que je suis forcé de croire, et non pas ce qu’il faut que vous croyiez »[14]

La structure de ces deux citations, basées toutes les deux sur une opposition symétrique, reflètent l’opposition entre le vrai et le faux, et ont pour vocation de prouver la véracité, qui provoque de ce fait un effet de surprise et d’attente dans le lecteur. La fin de l’histoire nous dévoile par ironie l’explication véritable de toutes les magies relatées jusqu’alors. C’est précisément Aspar, le premier eunuque, qui a pris soin du couple tout au long du récit. Mais même avec l’explication des faits magiques donnée à la dernière page, l’Orient d’Arsace et Isménie reste plutôt fantaisiste que vraisemblable. D’autres éléments, comme l’allusion à la religion l’éloignent de la réalité davantage. La religion décrite comporte les marques de plusieurs religions, mais c’est une religion polythéiste, inconnue : « Les prêtres finirent les cérémonies prescrites pour le culte des dieux ». Ce n’est sûrement pas par ignorance que Montesquieu utilise le mot « prêtre » pour désigner le serviteur des dieux, et non pas son homologue arabe « moufti », terme employé dans les Lettres Persanes. La parenté de cette religion polythéiste et la religion musulmane est exclue, parce que cette religion inconnue reconnaît aussi le statut des « prêtresses des dieux », ce qui est inadmissible dans la religion musulmane. Elle emprunte à la religion musulmane les éléments associés à la polygamie, sujet qui éveille la fantaisie des lecteurs de l’époque. Ainsi, nous pouvons retrouver un sérail avec plusieurs épouses, des eunuques pour les garder. Mais le rôle des eunuques est loin d’être aussi important que dans les Lettres persanes, leur présence n’est pas aussi imposante. Le premier eunuque, Aspar est de caractère amical et secourable, tout le contraire donc d’un eunuque redoutable des Lettres persanes.

Par ces procédés Montesquieu donne un caractère purement imaginaire à son histoire et l’apparente à un conte. Le dessin de l’Orient n’est donc pas important pour l’auteur, l’essentiel est de donner une image colorée, agréable et douce, agissant sur notre imagination et nous incitant à rêver.

Conclusion

Arsace et Isménie, cette perle quasi-inconnue de Montesquieu, témoigne du caractère ludique de l’auteur. Ce conte orientale nous invite à un voyage qui agit pleinement sur nos sens, sur notre imagination ; mais tellement éloigné d’un Orient vraisemblable. Le paysage magique, peuplé des esprits bienfaisants est un décor parfait pour cette histoire d’amour, où la nature bienfaisante, l’harmonie du chant des oiseaux et du murmure des fontaines procure une idylle pour pouvoir nous y échapper.

Jegyzetek:

[1]Bonnerot, Olivier, H., La Perse dans la littérature et la pensée française au XVIIIe siècle. De l’image au mythe, Champion-Slatkine, Paris-Genève, 1988, p. 30.
[2] Bonnerot, p. 13.
[3] Dufrenoy, Marie-Louise, L’Orient Romanesque en France 1704 – 1789, Beauchemin, Montréal, 1946.
[4] Dufrenoy, p. 43.
[5] Bonnerot, p. 25.
[6] Le Petit Larousse Compact, Larousse, Paris, 2004, « Bactriane » p. 1162, « Hyrcanie » p. 1414, « Médie » p. 1526.
[7] Montesquieu, Charles, Secondat de, « Arsace et Isménie » in Oeuvres complètes, t. 1, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1949 (dans la suite Arsace et Isménie), p. 476.
[8] Montesquieu, Arsace et Isménie, p. 470.
[9] Montesquieu, Arsace et Isménie, p. 470.
[10] Montesquieu, Arsace et Isménie, p. 471.
[11] Montesquieu, Arsace et Isménie, p. 472.
[12] Montesquieu, Arsace et Isménie, p. 472.
[13] Montesquieu, Arsace et Isménie, p. 472.
[14] Montesquieu, Arsace et Isménie, p. 472.



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