András Tóth
(Université Eötvös
Loránd, Budapest / Université d'Artois, Arras)
L'application
de la théorie de transtextualité de Genette à l'analyse de contenu des
bases littéraires multimédiatiques
De nos jours, l'informatique porte un soutien
actif à un nombre croissant de domaines de la littérature.
Derrière les logiciels et applications multimédia utilisés par les
chercheurs et par le grand public à des fins divers se trouve dans la
plupart des cas un arsenal d'oeuvres littéraires numérisés, bien souvent
accompagnées d'une série de documents complémentaires.
Quelle que soit leur finalité, ces bases
multimédia de documents littéraires donnent lieu à des cohabitations
inimaginables auparavant grâce à un grand avantage de l'informatique: la
possibilité de coexistence et d'interaction des divers médias sur le même
support. D'un côté, on a le corpus de l'oeuvre; de l'autre, une multitude de
documents qui se proposent pour une éventuelle association, très
hétérogènes au niveau de l'auteur, du contenu et du médium. La plupart
de ces documents n'ont pas été créés au moment de la rencontre, et pendant leur
existence préalable, relégués au second degré, d'une notoriété inférieure,
souvent difficile d'accès, leur relation à l'oeuvre demeurait
erratique ou même n'était pas assurée du tout. Le fait d'être élevé
au même support que le corpus d'origine, d'être tout aussi
accessible dans la même interface leur confère par contre une
valeur accentuée. Ou bien devrions-nous plutôt parler d'une dégradation du
statut autoritaire du corpus de l'oeuvre, comme le suggère George Landow[1]?
"Because hypertext systems permit a reader both to annotate an
individual text and to link it to other, perhaps contradictory texts, it
destroys one of the most basic characteristics of printed text - its separation
and univocality. Whenever one places a text within a network of other texts,
one forces it to exist as a part of a complex dialogue. Hypertext linking,
which tends to change the roles of author and reader, also changes the limits
of the individual text."
Parce que les
systèmes hypertextes permettent au lecteur aussi bien d'annoter un texte
individuel que de le lier à un autre texte peut-être
contradictoire, ils détruisent une des caractéristiques les plus fondamentales
du texte imprimé - sa séparation et univocité. Chaque fois que l'on met un
texte dans un réseau d'autres textes, on le force à exister en tant que
participant d'un dialogue complexe. Les liens hypertextes, qui ont tendances
à changer le rôle de l'auteur et du lecteur, changent aussi les limites
du texte individuel. (traduction d'András Tóth)
Dans les cas des bases dont on parlera ici,
il faut bien entendu atténuer cette affirmation, puisqu'il s'agit plutôt de
documents dont le contenu porte appui à la compréhension de l'oeuvre au
lieu d'y être contradictoire, ce qui diminue l'effet de corruption
d'autorité (sans pour autant le faire disparaître complètement, car un
dialogue a lieu de toute façon là où il n'y avait rien
auparavant).
Quoi qu'il en soit, les environnements
où l'oeuvre et ses "dérivés" doivent cohabiter se multiplient
aujourd'hui, non seulement sous forme de publications isolées en CD-ROM, mais
aussi dans le système ouvert de l'Internet. Nous allons d'abord
parcourir à titre d'exemple trois domaines d'application de ces bases
littéraires, avant d'esquisser une analyse possible des relations entre leurs
documents constitutifs.
La critique
génétique
Cette branche des sciences de la littérature
s'est fixée comme objectif l'étude de la genèse et de la transformation
des oeuvres, en espérant arriver à dévoiler des faits intéressants sur
le processus de l'écriture littéraire. Le pouvoir de juxtaposition et de
gestion des interconnexions des différentes versions de l'oeuvre - que ce soit
au niveau des documents ou des corrections individuelles - dans un
système hypermédia n'a pas manqué de susciter l'intérêt des
critiques génétiques. On en est même à un logiciel développé
spécialement à leur attention au CNRS, appelé Thot[2], permettant de représenter par des graphes la
chronologie et la typologie des liens entre les différentes variantes d'une
façon très minutieuse dans les transcriptions des manuscrits. Ces
derniers passent d'ailleurs aussi du niveau de la simple illustration à
une participation active grâce à la possibilité de segmentation de
l'image et du ralliement des segments à leur transcription.
Accessoirement, les documents sources utilisés par l'auteur et les annotations
ultérieures des lecteurs peuvent venir se joindre à la base pour
compléter le parcours des variantes.
Une méthode inventée par Iván Horváth de
l'Université de Budapest, la lecture stochastique d'éditions critiques exploite
encore plus les potentiels de l'informatique. Dans les nombreux cas où la critique est incapable de décider de la
version pertinente d'un segment de texte (que ce soit lettre, mot, phrase,
paragraphe etc.), le logiciel offre une version différente à chaque
consultation, d'une façon arbitraire. Là où il est possible
d'établir une hiérarchie de probabilité parmi les versions, l'ordinateur peut
la respecter à l'aide de la statistique et faire basculer le hasard vers
les plus probables.[3]
Le
multimédia grand public
Ici, le but de l'intervention des documents
extérieurs est d'une part d'allécher le public en proposant un accès
facile (commentaire avec images et son) à l'univers de l'auteur en
question, d'autre part d'offrir aux étudiants un dossier sur divers aspects de
l'oeuvre (éventuellement amélioré par des fonctions de recherche et
d'annotation plus avancées). Le choix du mot multimédia au lieu d'hypermédia
dans le titre de la section n'est pas arbitraire. Beaucoup de produits
censés présenter l'oeuvre ou une partie de l'oeuvre d'un écrivain se limitent
à la cohabitation de documents de différents médias et ne font pas
suffisamment attention au caractère interactif de leur publication, qui
est parfois réduit au minimum (c'est le cas par exemple des CD-ROM peintre -
poète - compositeur comme Monet -
Verlaine - Debussy[4]). Même des réalisations assez élaborées de ce
point de vue se voient obligées de mettre l'accent sur le côté visuel de
l'interface,[5] d'une sophistication rendue désormais obligatoire par
les exigences d'un marché petit mais en plein développement, donc
extrêmement compétitif.
La valeur du côté graphique et sonore de l'interface
se trouve augmentée et sa présence motivée si par son symbolisme il entretient
une relation métaphorique avec l'oeuvre. Citons à cet égard la
réalisation tout à fait exemplaire d'Antoine Denize sur la littérature
combinatoire[6], où la relation entre documents et interface est
à ce point complexe et multiple que la distinction entre les deux en
vient à s'effacer.
Vers une
annotation collective
Il existe une catégorie de documents
extérieurs qui se démarque clairement des autres par une caractéristique
fondamentale: son auteur, qui n'est autre que le lecteur même. Attention:
le terme "lecteur" peut cacher n'importe qui; au demeurant, cela peut
être l'écrivain qui a créé le corpus qui l'annote. Ce qui importe, les
conditions dans lesquelles elle se réalise: pendant la procédure de lecture,
lié à une partie spécifique du texte, sur la marge, un bout de papier,
ou dans un fichier séparé s'il s'agit d'une base multimédia. Le but de
l'opération n'est pas définissable d'une manière précise, car elle peut
prendre toutes sortes de rôles: celui d'une remarque personnelle, de la mention
d'un autre document (extérieur ou non au corpus), d'une analyse critique, voire
d'une correction de l'original.
L'informatique a apporté deux innovations
à la procédure. D'une part, elle peut utiliser une autre forme que du
texte: avec le lien qui dans la syntaxe de la base signifie une annotation, il
est tout aussi possible d'attacher un fichier image qu'un fichier texte. Dans
l'univers des livres, cela peut se faire dans une édition critique, mais pour
un simple lecteur il serait assez incommode d'encombrer les pages du livre avec
des images découpées ailleurs. D'autre part, les ordinateurs branchés en réseau
rendent possible un travail collectif de plusieurs personnes sur une même
base de données. Ceci change considérablement les conditions de l'annotation.
Bien qu'il soit dans le droit de chacun d'annoter une oeuvre lue,
jusqu'à une date récente, l'effet de ce travail dépendait de la personne
qui le faisait. Si c'était l'auteur même du livre, la réédition suivante
pouvait en être modifiée; si c'était un critique littéraire acclamé, son
annotation paraissait dans l'édition critique; et si c'était un étudiant, il ne
se passait rien.
Dans un système comme Intermedia
développé par Georges Landow au début des années 90, cette distinction perd son
sens: les étudiants sont invités à lier leurs commentaires et essais
à l'auteur étudié, de sorte que le fruit d'un semestre de travail est la
création ou l'enrichissement d'un hypertexte autour de l'oeuvre[7] [Landow 1993]. S'il est possible de faire des
commentaires non seulement sur l'oeuvre même, mais aussi sur les
annotations déjà existantes, on imagine la complexité du réseau de liens
qui se forme, réseau qui s'éloigne de plus en plus de l'oeuvre originelle
à travers les couches successives des notes annotées.
C'est un processus bien réel dans les groupes
de discussion de l'Internet, qui, ne l'oublions pas, ajoutent aux avantages du
travail collectif l'effacement des contraintes géographiques. Il est vrai par
contre que l'oeuvre sous format numérisé est absente (des auteurs comme James
Joyce et George Orwell ont leur groupe dans la catégorie alt.books, mais leurs oeuvres ne sont pas disponibles n'étant pas
encore dans le domaine public), à quelques exceptions près: par
exemple, le très propice groupe humanities.lit.authors.shakespeare
a accès aux oeuvres complètes de Shakespeare à
l'adresse https://www.ipl.org/reading/shakespeare/shakespeare.html et donc peut
en profiter pour créer des liens hypertextes vers ces pages à partir des
messages-annotations de la liste. N'ayant pas examiné ces messages de
près, je ne peux pas savoir si cela est une pratique répandue dans le
groupe, en tout cas, elle pourrait l'être. Cela serait un des premiers
exemples des bases de documents littéraires du futur: où les documents
constituants ne se trouvent plus sur le même ordinateur, mais dispersés
dans le monde et relayés par un réseau de références véhiculé sur Internet. La
localité commune des documents ne sera plus un critère pour l'existence
d'une base, dont les frontières tendront à se dissoudre dans le
réseau de références.
Esquisse d'une classification des relations interdocumentales
Ce n'est pas la syntaxe de l'organisation des
procédés de l'application multimédia gérant notre base de documents
littéraires, autrement l'ergonomie que
nous examinerons sous ce point (comme méthode de navigation d'un document
à l'autre, étalement des thèmes sur l'écran principal etc.). Nous
nous intéresserons plutôt à la catégorisation des documents selon le
statut de leur contenu par rapport
aux autres, donc aux liens transtextuels
qu'ils tissent à l'intérieur de notre base.
Ce mot signale déjà que par la suite
nous adopterons la terminologie développée par Gérard Genette pour caractériser
les relations possibles entre deux documents ayant quelque chose en commun. Sa
théorie de transtextualité, publiée en 1982[8], est le fruit de ses réflexions aux années soixante-dix,
menées sous l'influence des mouvances littéraires de l'époque qui valorisaient
la notion de texte par rapport à l'oeuvre, comme il l'admet
lui-même dans ses ouvrages plus récents tel que L'oeuvre de l'art[9]. Il n'en reste pas moins que cela demeure sa théorie
principale sur les rapports existants entre des oeuvres distinctes.
Toutefois, j'ai trouvé nécessaire de porter
quelques modifications au système imaginé par Genette, d'une part pour
éviter des confusions avec l'usage contemporain d'un de ses termes
charnière, d'autre part pour adapter ses notions aux exigences des bases
littéraires multimédiatiques, qui contiennent aussi autre chose que du texte.
Au demeurant, la classification que je propose plus bas ne fait que s'inspirer
librement de la théorie originelle de transtextualité.
Voici donc un tableau explicatif des
transformations que j'ai fait subir au système de Genette[10].
Les catégories et définitions de Genette |
Nouvelles catégories et définitions |
Intertexte "...présence effective d'un
texte dans un autre", autrement dit citation. |
Intertexte Reste le même. |
Métatexte "...la relation, on dit plus
couramment de 'commentaire', qui unit un texte à un autre texte dont
il parle, sans nécessairement le citer (le convoquer), voire à la
limite, sans le nommer..." |
Métatexte Reste le même. |
Paratexte "...signaux accessoires,
autographes ou allographes, qui procurent au texte un entourage (variable) et
parfois un commentaire..." Exemples: notes, préfaces et postfaces, mise
en page, illustrations etc. |
- Disparaît: cette catégorie décrit des critères formelles et non
le contenu du texte. P.ex. Une préface est une forme de texte qui peut être
entre autres en relation de métatextualité avec le texte auquel il appartient
(si elle n'en fait pas partie). |
Hypertexte "...tout texte dérivé d'un
texte antérieur par transformation simple (...) ou par (...) imitation."
hypotexte: le texte d'origine. |
Altertexte "Hypertexte" désigne aujourd'hui autre chose[11], d'où le
changement de terme. Aussi, définition plus large: toutes modifications
portées à un "hypotexte" (pas seulement la réécriture). |
- |
Altermédia Tout média adapté dans un autre (p.ex. texte en cinéma, musique
décrite en texte). A cause du
changement de moyen d'expression, le contenu véhiculé change aussi. |
Architexte relation implicite entre deux textes
découlant de "...l'ensemble des catégories générales, ou transcendantes
- types de discours, modes d'énonciation, genres littéraires- dont
relève chaque texte singulier." |
Architexte /
Archimédia Définition plus large, comprenant aussi les mouvements
artistiques et toute autre affinité dans le contenu. Cette affinité peut
exister aussi entre documents appartenants à des médias différents
(impressionisme dans la peinture, la musique etc). |
- |
Contexte /
Conmédia |
On pourrait se demander pourquoi, à
l'analogie d'altermédia, archimédia et conmédia, il n'existe pas de catégorie
intermédia et métamédia. Dans le cas du métatexte, la réponse est simple: la
notion de "mention ou commentaire" qui le définie est spécifique
à la langue, donc ne peut être que textuel. La notion d'intertexte
est plus problématique: que faire d'une oeuvre de littérature moderne, dont
l'auteur choisit d'intercaler dans son texte des illustrations autres que ses
propres dessins, par exemple une reproduction de la Joconde? Il s'agirait
pourtant bien d'une "citation" du tableau de Léonard ! En fait, ce
cas - par ailleurs assez marginal pour l'instant - entre très bien dans
la définition de l'intertexte, si on l'élargit aux autres médias que le texte.
La citation visuelle entraîne certes une modification du statut de l'oeuvre
citée, mais ne va pas jusqu'à modifier son média, qui reste toujours
l'image. Pour être tout à fait correcte, il faudrait remplacer le
suffixe "-texte" dans notre système par quelque chose de
neutre par rapport au média, pour signaler que ces catégories-là
s'utilisent pour tous les médias, pourvue qu'il n'y ait pas de passage de l'un
à l'autre. Seulement voilà: la solution qui s'impose, le suffixe
"-média" est réservé dans notre classification aux relations entre
oeuvres impliquant un changement de média. Aussi, les phénomènes qui
nécessiteraient cette nouvelle terminologie sont encore trop marginaux pour
qu'on apporte cette modification radicale au système de Genette, qui en
serait tout défiguré. Après tout, on l'applique à des bases
informatiques dont le sujet principal, l'oeuvre littéraire demeure majoritairement
textuelle.
Cette nouvelle taxonomie nous permet de
prendre en revue et classifier les documents qui, selon nos connaissances
actuelles, peuvent figurer dans une base littéraire multimédiatique. Dans un
deuxième tableau présenté ci-joint, je procède à cette
classification, et j'introduis deux autres critères de rangement: le
moment de création des documents par rapport à la naissance de l'oeuvre
(avant, après, ou indéterminé), ainsi que l'identité de leurs créateurs.
Mais auparavant, il nous faut clarifier deux notions de base qui constituent
les fondements de ce tableau: document et
oeuvre.
Oeuvre: puisqu'elle est aujourd'hui plus insaisissable que
jamais, nous accepterons comme hypothèse de travail la définition
suivante: documents qui motivent l'existence de la base littéraire en question
et déterminent le choix des autres documents dans la base. Ces documents
peuvent être multiples dans le sens où ils peuvent exister en
plusieurs versions différentes les unes des autres. La structure de la base
sera centrée sur la présentation et le commentaire de l'oeuvre.
Document: nous considérerons comme tels non seulement les textes, mais tout type de
donnée numérisée (que ce soit visuel ou sonore, à fonction esthétique ou
autre), à partir du moment où elle aura un rapport de sens
quelconque avec l'oeuvre. A titre d'exemple, seront donc exclus les éléments
fonctionnels de l'écran d'interface de la base ayant une apparence neutre, mais
inclus ceux dont la parure est empruntée à l'oeuvre, comme seraient les
boutons en forme de madeleines à l'écran d'un CD-ROM dédié à
Proust.
Venons-en à présent à la
structure de notre tableau. Horizontalement, on peut lire la classification
"néo-genettienne" répartie en catégories chronologiques. Car bien
sûr, il peut exister des documents antérieurs qui sont cités, mentionnés
ou transformés dans l'oeuvre, qui dès lors devient une cible. Il y a aussi des documents
ultérieurs qui citent, mentionnent ou transforment l'oeuvre, qui est alors leur
source. Enfin, une troisième
catégorie de documents se contente d'être dans une relation plus
indirecte avec l'oeuvre, donc moins définissable chronologiquement, que nous
appellerons l'environnement de
l'oeuvre.
Moins visible, une division dans la liste
verticale (probablement non-exhaustive) des documents possibles dans la base
tente d'établir une classification parmi les créateurs des documents. On peut
compter parmi eux en premier lieu l'auteur
(ou éventuellement les auteurs) de
l'oeuvre, mais aussi les auteurs des
documents annexes, que ce soit commentaires, biographies, photos de l'auteur
etc. La troisième catégorie d'auteur se trouve dans les bases où
l'annotation par le lecteur (visible
pour les autres utilisateurs) est pratiquée. Enfin, il faut aussi mentionner
les auteurs de la base littéraire,
qui peuvent eux aussi ajouter leur touche sous forme de graphisme décorateur et
de musique accompagnatrice liés à l'oeuvre. Il faut préciser cependant
que ces catégories ont parfois tendances à se confondre. Rien
n'empêche l'auteur d'une oeuvre littéraire de la commenter et
éventuellement même de la récrire (voir Michel Tournier, par exemple).
Aussi, dans le monde changeant des sciences humaines assistées par ordinateur,
les littéraires, auteurs des commentaires sur l'oeuvre, sont de plus en plus
capable de créer et de gérer leurs propres bases de textes.
Troisièmement, dans l'environnement égalitaire d'Internet, la ligne de
démarcation entre scientifiques et simples lecteurs a tendance à
s'effacer, si les deux ont accès aux fonctionnalités d'annotation.
Sur la page suivante, je propose ma classification
sous forme de tableau. Les catégories marquées d'un numéro font l'objet de
remarques ultérieures.
András
Tóth (Budapest / Arras): L'application
de la théorie de transtextualité de Genette à l'analyse de contenu des
bases littéraires multimédiatiques |
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Documents dans la base |
L'oeuvre comme cible |
L'oeuvre comme source |
Environnement de l'oeuvre |
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En
italique: les docu. créés par l'auteur de l'oeuvre |
Intertexte dans l'oeuvre |
Métatexte dans l'oeuvre |
Altertexte dans l'oeuvre |
Altermédia dans l'oeuvre |
Intertexte de l'oeuvre |
Métatexte sur l'oeuvre |
Altertexte de l'oeuvre |
Altermédia de l'oeuvre |
Architexte / Archimédia |
Contexte / Conmédia |
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dessins
ou photos faisant partie de l'oeuvre ¬ |
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entretiens,
essais et correspondance de l'auteur |
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manuscrit
et notes d'auteur pour l'oeuvre |
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versions
antérieures et ultérieures de l'oeuvre |
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transcription de manuscrit (pas par
l'auteur) |
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récritures et oeuvres littéraires inspirées |
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adaptations (illustrations, cinéma, théâtre
etc.) ® |
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l'oeuvre lue par l'auteur ou un acteur ¯ |
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documents source pour la création de
l'oeuvre ° |
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documents sur la réalité présentée dans
l'oeuvre ± |
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documents ayant une affinité avec l'oeuvre |
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photos de l'auteur et de son environnement |
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témoignages de contemporains |
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données biographiques |
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chronologies historiques de l'époque de
l'auteur |
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bibliographie de l'auteur |
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essais et notes sur l'oeuvre |
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annotations
des lecteurs |
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interface graphique ² |
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musique et bruitage accompagnateurs ² |
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Les catégories marquées d'un numéro
sont les objets de remarques par la suite.
1.
Dessins ou photos faisant partie de l'oeuvre: à condition qu'ils soient réalisés par l'auteur de l'oeuvre.
Autrement, ils sont considérés comme des adaptations (point 3), ou
éventuellement comme des documents sur la réalité présentée dans l'oeuvre
(point 6). Quand c'est l'auteur qui dessine ou photographie (comme pour Songs of Innocence de William Blake ou
pour un bon nombre de livres pour enfants), on ne peut pas toujours savoir quel
était l'ordre de création: est-ce que c'est le texte qui a inspiré l'image, ou
l'inverse. Voilà pourquoi une image créée par l'auteur peut être
aussi un altermédia transformé en oeuvre littéraire.
2.
Manuscrit et notes d'auteur, versions
antérieures et ultérieures, transcription de manuscrit: dans ces cas-là, il n'est pas
approprié de parler de la relation des documents à l'oeuvre, car comme
on le sait, à regarder les choses de près, on ne peut plus
déterminer en quoi l'oeuvre consiste parmi toutes ses variantes existantes.
Mais s'il n'y a pas d'oeuvre centrale, on peut toujours considérer les
relations de chacun de ces documents disponibles aux autres: le manuscrit par
rapport à une version imprimée, la première version imprimée par
rapport à une plus récente, la transcription du manuscrit par rapport
aux notes préparatoires de l'auteur etc. Chaque fois, on constate des
différences dans le texte et dans la mise en page, un degré de réécriture, il
s'agit donc d'une relation altertextuelle. Mais en passant de l'écriture
manuelle de l'auteur à la page imprimée, nous assistons aussi à
un changement de support, que j'aurai l'audace de qualifier de passage d'un
média à l'autre. En effet, on perd de vue la trace de la main de
l'auteur, porteuse d'information visuelle: on assiste donc à une
transformation altermédiatique. Qui plus est, en terme informatique, le
changement de support est bien réel aussi: le codage du texte et de la photo du
manuscrit est totalement différent.
3.
Adaptations (illustrations, cinéma, théâtre etc.): Les dessins qui ne sont pas de l'auteur mais de quelqu'un
d'autre sont bien les adaptations en image de certaines parties de l'oeuvre,
donc nécessairement altermédiatique. Evidemment, l'auteur de l'oeuvre originale
peut aussi en faire une adaptation en film lui-même, notre tableau n'est
donc pas tout à fait précis sur ce point concernant les créateurs
potentiels de ce type de document.
4. L'oeuvre lue par l'auteur ou un acteur:
tout comme le passage du manuscrit à l'imprimé, nous considérons comme
altermédiatique la transformation du texte subie à la lecture à
haute voix. Les potentialités de la langue parlée (ton, dialecte, intonation
etc.) s'ajoutent, alors que d'autres se perdent (mise en page, effets de
typographie etc.).
5. Documents sources pour la création de
l'oeuvre: peuvent être inter- ou métatextuels s'ils ne sont que cités
ou mentionnés, altertextuels ou altermédiatiques si une transformation
quelconque a été opérée sur eux, et architextuels / médiatiques s'ils n'ont
qu'une affinité implicite avec l'oeuvre. Cette catégorie très large
comprend tout document - qu'il soit à fonction esthétique ou non - qui
ait pu nourrir l'auteur dans l'écriture de l'oeuvre. Des extraits des textes de
Tite Live subissent une transformation altertextuelle dans un roman historique
se déroulant au temps des Romains. Robinson
Crusoé, quoique déjà roman en soi, est aussi un document source pour
Vendredi ou les limbes du Pacifique
de Michel Tournier. Ces documents peuvent même provenir de l'auteur
lui-même, car il arrive parfois qu'un réalisateur adapte ses films en
romans et devient ainsi écrivain. Dans ce cas, le film d'origine est un
document source altermédiatique, puisqu'il y a adaptation en sens inverse.
6. Documents sur la réalité présentée dans
l'oeuvre: autres que ceux utilisés par l'auteur de l'oeuvre, qui
appartiennent à la catégorie précédente. Exemple: cartes et images des
lieux d'action (mais pas les illustrations de l'oeuvre même),
présentation du milieu social des protagonistes etc.
7. Musique
et bruitage accompagnateurs, interface
graphique: Eléments des applications multimédia destinés à rendre
l'utilisation de la base plus conviviale, choisis soit parce qu'ils s'accordent
bien avec l'ambiance de l'oeuvre (choix archimédiatique), soit parce qu'ils ont
quelque chose à voir avec les circonstances de la création (choix
conmédiatique), soit parce qu'ils représentent un document visuel ou musical
mentionné ou décrit dans l'oeuvre (choix métatextuel ou altermédiatique respectivement),
soit enfin parce qu'ils servent d'illustration à un élément de l'oeuvre
même (choix altermédiatique, mais dans l'autre sens).
Conclusion
On pourrait reprocher à cette
classification de se borner à utiliser uniquement une version
retravaillée de la théorie de transtextualité de Genette. Qu'est-ce qui prouve
que cette méthode décrit le fonctionnement d'une base littéraire multimédiatique
de la façon la plus adéquate et utile qui soit? En effet, il faut admettre que
certaines relations exprimées dans le tableau pourraient être
réinterprêtées selon les théories de Genette élaborées ultérieurement.
Un de ces ouvrages récents[12] est consacré non plus à la relation entre des
oeuvres distinctes d'auteurs différents, mais aux modes d'existence et à
notre connaissance de la même oeuvre. Des classes de documents telles que
les manuscrits, les versions divergentes, les reproductions, les réécritures,
les lectures à haute voix sont analysées dans cette classification. A
mon sens, les deux théories ne s'excluent pas l'une l'autre, leur application
dépend de notre approche de la question. La transtextualité explore les
relations entre textes indépendants, et si on veut, les versions d'une oeuvre
littéraire peuvent être considérées en tant que telles, si on se
concentre sur leurs différences. Si au contraire, c'est la multiplicité réelle
ou virtuelle de la même oeuvre littéraire qui nous intéresse, la théorie
d'immanence et de transcendance est plus pertinente.
Des travaux futurs sur les bases littéraires
pourraient effectivement puiser dans les autres théories de Genette. Jusqu'ici
nous avons examiné les relations de l'oeuvre et des documents constituants la
base comme celles d'unités non divisées. Or, la fragmentation des documents
lors de la consultation est bien réelle: souvent, seule une partie du document
attaché à l'oeuvre est affichée, celle qui intéresse l'utilisateur dans
le contexte actuel. A l'extrême, la fragmentation peut même passer
imperceptible, comme dans le cas de la lecture stochastique d'Iván Horváth,
où à chaque accès, des bribes de mots, des lettres
proviennent de différentes versions de l'oeuvre.
Nous devons donc considérer la classification
établie plus haut comme opérant seulement au niveau théorique, tout au plus
applicable au moment du rassemblement des documents de la base. En pratique,
les modes d'existences des documents, les relations interdocumentales
naissantes d'une façon dynamique à chaque nouvelle consultation de la
base littéraire sont encore à analyser. Dans cette étude plus pragmatique,
plus proche de l'expérience réelle de l'utilisateur, certains aspects de la
théorie de Genette sur l'immanence et la transcendance des oeuvres d'art
peuvent être utiles, mais ne constituent probablement pas les seuls
outils de travail.
[1] Landow (George P.): Hypertext - The Convergence of Contemporary Critical Theory and Technology, Baltimore and London, John Hopkins University Press, 1992, p 63
[2] André (Jacques) / Richy (Hélène), Hypertextes et documents structurés - Etude de cas en critique génétique, dans H2PTM'97, Actes de la quatrième conférence Hypertextes et Hypermédias, Paris, Hermès, 1997
[3] Pour une illustration de cette méthode, voir sur Internet https://magyar-irodalom.elte.hu/
[4] Monet - Verlaine - Debussy, Arborescence et New Line New Media, 1996.
[5] Comme le CD-ROM Chateaubriand de la société Acamédia, qui comprend un commentaire
général hiérarchisé thématiquement à trois niveaux, des notices individuelles
sur les détails et sur les caractéristiques de l'oeuvre, ainsi que les résumés
des textes, tous richement interliés, avec en plus la possibilité de créer de
nouveaux parcours par le groupement thématique des signets posés par
l'utilisateur. En revanche, il est introduit par un générique animé onéreux et
propose des séquences vidéo tout à fait classiques en guise de présentation du
CD-ROM et de la vie de Chateaubriand.
[6] Denize (Antoine), Machines à écrire, Gallimard 1998.
[7] Landow ibid. chapitre Reconfiguring Literary Education p. 120-161
[8] Genette (Gérard), Palimpsestes: La littérature au second degré, Paris, Seuil, Collection Poétique, 1982
[9] Genette
(Gérard), L'oeuvre de l'art -
Immanence et transcendance,
Paris, Seuil, Colletion Poétique,
1994, p 234
[10] Genette
(Gérard), Palimpsestes: La
littérature au second degré,
Paris, Seuil, Collection
Poétique, 1982, pp 7-14
[11] Aujourd'hui ce mot est réservé à son sens informatique, comme son inventeur Ted Nelson l'entendait (un texte avec des liens vers d'autres, voir Nelson (Ted): Literary Machines, Sausalito, Californie, Mindful Press, 1981).
[12] Genette
(Gérard), L'oeuvre de l'art -
Immanence et transcendance,
Paris, Seuil, Colletion Poétique,
1994