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PERJÉS Eszter
Les adversaires dans Le Bel Inconnu


Le Bel Inconnu de Renaud de Beaujeu est un roman en vers écrit dans la seconde moitié du XIIe siècle. Il fait partie des quatre textes qui, à des époques et à des endroits géographiques très différents, ont traité l'histoire d'un jeune chevalier nommé Guinglain dans la version française et anglaise, Carduino dans l'oeuvre italienne et Wigalois dans le roman allemand[1]. A la différence des versions plus tardives, l'oeuvre de Renaud, tout en s'intégrant dans la tradition du genre du roman arthurien, se singularise par des interventions répétées du narrateur dans le récit et par un inachèvement de l'histoire. Cependant, si la forme est inhabituelle et originale, la trame reste typiquement romanesque et typiquement arthurienne puisque constituée des aventures chevaleresques et amoureuses du héros.

L'histoire commence par l'arrivée d'un jeune chevalier inconnu à la cour d'Arthur qui prie le roi de lui accorder le premier don qu'il lui demandera. Arthur accepte et l'occasion ne tardera pas à se présenter pour que le roi puisse tenir sa parole: Hélie, une belle messagère arrive à la cour et demande un champion de la Table Ronde pour libérer sa maîtresse ensorcelée, Blonde Esmerée, qui est gardée prisonnière à la Cité en Ruines. Malgré les protestations d'Hélie, le Bel Inconnu sera désigné par le roi pour accomplir cette tâche scellant ainsi le début d'une série d'aventures marquée par douze combats. Le Bel Inconnu vaincra dans l'ordre Blïobliéris, le gardien du Gué Périlleux, deux géants, les trois compagnons de Blïobliéris, Orgueilleux de la Lande, Giflet, Malgier le Gris, Lampart, le sénéchal de Blonde Esmerée et les deux magiciens, Mabon et Evrain, qui ont ruiné Sinaudon. Pour briser définitivement l'enchantement, il subira le Fier Baiser d'un serpent délivrant ainsi Blonde Esmerée.

Le mariage du héros et de la princesse libérée ne suivra pas immédiatement cette aventure principale car Guinglain (nommé par erreur "le Bel Inconnu") retournera chez la Pucelle aux blanches mains, maîtresse de l'Ile d'Or, qui lui a offert auparavant son amour et son royaume. Mais Guinglain ne pourra pas résister à l'appel d'Arthur et il quittera la fée pour participer à un tournois à la cour du roi. Sa victoire sera récompensée par la reconnaissance sociale générale et par un mariage avec Blonde Esmerée qui lui apportera couronne et royaume.

Depuis le XIXe siècle, de nombreux critiques d'écoles différentes se sont penchés sur ce roman pour établir ses origines, des rapports d'intertextualité ou bien pour l'analyser du point de vue structuraliste, symbolique ou narratologique. L'article ci-dessous, qui fait partie d'une plus longue étude, aura comme ambition de dégager un sens supplémentaire de l'oeuvre à la lumière de la psychologie analytique. Il examinera comment les adversaires dans la première partie du roman, c'est-à-dire avant le retour du Bel Inconnu chez la fée, reflètent ou personnifient des contenus inconscients de la psyché du héros montrant ainsi ce processus psychologique que C.G.Jung a nommé "individuation". Notre étude s'appuie donc essentiellement sur les travaux de Jung et de ses collaborateurs ainsi que sur les rares ouvrages critiques qui analysent des récits médiévaux selon la même méthode.

Après avoir quitté la cour d'Arthur, pour une première aventure, le Bel Inconnu traverse la Gué Périlleux, où "Li pasages est dolereus" (v.324), et franchit ainsi la frontière qui sépare ce monde-ci de l'Autre Monde. Symboliquement parlant, il entame la voie d'individuation qui consiste à différencier les contenus de l'inconscient (celui-ci est symbolisé par l'Autre Monde) et les intégrer à la conscience pour aboutir, dans le meilleur des cas, à l'élargissement du champ du conscient, à la réalisation d'un équilibre psychique. Mais pourquoi un "gué" et pourquoi "périlleux" au début du chemin qui mène à la Gaste Cité?

Le gué est un endroit qui facilite le passage à travers un cours d'eau et les rivières séparent, dans le roman arthurien en général, le monde merveilleux de ce monde-ci. La traversée est alors inévitable pour le Bel Inconnu puisque la princesse ensorcelée est en prison dans l'autre monde. Blonde Esmerée symbolise ici ce composant féminin de la psyché masculine que Jung a nommée Anima et que le Bel Inconnu, le héros, doit libérer de l'emprise des forces maléfiques.

Le gué a reçu l'épithète "périlleux" parce que le chevalier qui le défend est féroce et perfide, il a tué beaucoup d'adversaires.

"Maint chevalier l'ont trové dure
Que il avoit ocis al gué.
Molt estoit plains de cruauté,
Blioblïeris avoit non,
Molt ot le cuer fier et felon;" (vv.336-340)

Autrement dit, la première rencontre avec l'inconscient est dangereuse à cause de la profondeur de celui-ci qui peut engloutir le sujet, et à cause de son côté fascinant qui peut l'emprisonner.

Blioblïeris, le gardien du gué, défie le Bel Inconnu au nom de la coutume[2]. Par son attitude, il rappelle le type du chevalier brigand qui attend les passants pour les piller avec ses compagnons. Le Bel Inconnu dit lui-même de la coutume: "C'est roberie " (v.427). Comme tous les autres adversaires, le défenseur du gué représente pour le héros un obstacle à surmonter avant d'atteindre le but, la délivrance de Blonde Esmerée. Les combats précédant la lutte contre Evrain et Mabon sont des épreuves qualifiantes qui permettent de démontrer la perfection chevaleresque du Bel Inconnu. Il est déjà un chevalier accompli au début du roman[3] mais, en fait, personne ne connaît rien de précis sur lui. Qu'il n'ait pas de nom, cela signifie qu'il n'occupe pas encore sa place dans la société. En arrivant à la cour d'Arthur il se définit par rapport à sa mère qui l'appelait "Biel Fil "(v.117). Pour remplacer cette dénomination trop évocatrice d'un fort attachement à la mère, le roi lui donne le nom du "Biaus Descouneüs" (v.131). Cette appellation montre bien que ce jeune chevalier est complètement ignoré par la société arthurienne et qu'à ce moment-là, c'est-à-dire avant son départ en aventure, c'est seulement son apparence physique qui peut retenir l'attention. La formule d'Hélie est très juste:

"Jo t'avoie quis li millor,
Et tu m'as donné le pïor,
Que tu ne ses se vaut nïent: " (vv.231-233)

Pour avoir un "vrai" nom, il doit d'abord faire preuve de prouesse et de courtoisie. D'où la nécessité de partir en aventure et d'affronter les adversaires les plus différents, dont le premier est Blioblïeris.

Psychologiquement parlant celui-ci reflète, comme dans un miroir, l'attitude du héros vis-à-vis de son premier contact avec l'inconscient. Le comportement du Bel Inconnu est résolument hostile[4], étant donné que son principe de Logos, par sa nature "discriminatrice et cognitive "[5] défend avec acharnement la domination de la conscience contre tout élément qui puisse surgir de l'inconscient. Cette réaction rationnelle est symbolisée par le duel (les vertus guerrières évoquant ce monde-ci, la société chevaleresque) et par les couleurs du bouclier de Blioblïeris:

"Un escu ot a l'uis devant;
Li cieés fu d'or, li piés d'argent." (vv.329-330)

Le caractère brillant et lumineux de l'or et de l'argent, qui rapproche ces métaux respectivement au rayonnement du soleil et à la lune, évoque la lumière de la connaissance, la netteté de la conscience et la hauteur spirituelle que seul l'esprit (le Logos ) peut atteindre[6].

En attendant les passagers au gué, en compagnie virile, Blioblïeris se distrait aux échecs. Ce jeu, divertissement par excellence intellectuel, semble rejoindre la valeur symbolique du bouclier. La figure du chevalier nous montre l'attitude tout à fait rationnelle du Bel Inconnu en face du monde des pulsions et des instincts. Nous allons voir tout au long du roman que les adversaires, comme un miroir, reflètent le degré auquel le héros est arrivé dans l'intégration des contenus inconscients[7]. Dans cette optique, Blioblïeris représente la réaction inappropriée et néfaste du Moi, centre du champ de la conscience, à l'idée de la libération de la princesse emprisonnée, figure de l'Anima, qui est soumise en ce début du roman aux pouvoirs de deux magiciens[8].

Après avoir "délivré le pas" (v.493), Le Bel Inconnu pénètre avec ses compagnons dans une forêt où auront lieu deux nouvelles aventures. Cet endroit, surdéterminé par sa masse opaque et obscure[9], laisse présager des événements sinistres. La forêt est un lieu des trahisons et "des infractions du code chevaleresque "[10]: plusieurs adversaires peuvent attaquer un seul chevalier. C'est dans ce cadre, qui suscite la peur en soi, et dans l'obscurité de la nuit que le héros va livrer son combat contre les deux géants puis contre les trois compagnons de Blioblïeris.

La nuit tombée, le BI s'est endormi dans l'herbe aux côtés de la messagère:

"Li Descouneüs se dormoit
Sor l'erbe fresce, u il gisoit;
Dalés lui gist la demoissele,
Deseur son braç gist la pucele;
Li uns dalés l'autre dormoit,
Li lousignols sor els cantoit." (vv.623-629)

Ce calme idyllique est brusquement perturbé par des cris de secours et le jeune chevalier se hâte vers l'endroit d'où vient la voix. En arrivant à un grand feu en compagnie de Robert, Hélie et du nain, il voit deux géants dont l'un prépare un rôti près du feu, alors que l'autre veut "a force foutre" (v.714) une belle demoiselle. Sans tarder davantage, le Bel Inconnu attaque ce deuxième et le tue immédiatement, puis affronte le premier pour lui fendre la tête à la fin d'un rude combat.

Ces deux créatures de grande taille, en qui la tradition médiévale voyait des forces du mal[11], représentent respectivement les deux instincts fondamentaux chez l'homme sous une forme hypertrophiée: celui de la conservation de l'espèce (acte sexuel) et celui de la survie (nutrition). Eloignés des êtres humains, ils habitent dans une caverne d'où ils sortent pour assurer leur existence en dévastant les alentours. On retrouve dans leurs figures "les crimes les plus horribles d'une chevalerie abandonnée à ses instincts "[12] ou, en général, les défauts et les excès qui caractérisent un mauvais chevalier[13].

Les circonstances de leurs mises à mort soulignent la valeur symbolique qu'il véhiculent. Le géant "violeur" a le coeur percé et il tombe dans le feu. Le coeur, ce centre vital du corps, était considéré comme représentant de l'homme intérieur dans la tradition biblique[14]. Le Bel Inconnu doit, symboliquement parlant, tuer cet "homme intérieur" parce qu'il est perverti et dégénéré. Qu'il soit consommé par le feu peut être interprété comme un anéantissement résultant de l'intensité de ses propres impulsions.

Le géant "rôtisseur" est battu après un plus long combat. Dans son cas, la situation ne nécessite pas d'action immédiate, l'auteur peut prendre son plaisir à détailler la lutte héroïque du Bel Inconnu. Avec sa lance, celui-ci blesse au côté son adversaire qui, à son tour, veut le frapper le chevalier avec une massue[15]. Le coup tombe sur un arbre et le Bel Inconnu finit par fendre la tête du géant:

"Un cop li donne molt pesant
Sus en la teste en la cervele,
Desi es dens met l'alimele,
Si li a tolue la vie." (vv.808-811)

La lame de l'épée ne s'arrête pas par hasard aux mâchoires: l'auteur met ainsi l'accent sur la partie du corps dont le fonctionnement caractérise le mieux ce géant. Déjà, quand le Bel Inconnu l'a aperçu la première fois, celui-ci faisait cuire un rôti. Plus tard, Robert et le nain retrouvent la réserve de nourriture des deux monstres (vv.901-912). La nutrition paraît surdéterminer ces créatures, et plus particulièrement le géant "rôtisseur" dont la mise à mort est étroitement liée à sa valeur symbolique.

Comme les géants sont connus pour leur grande taille et leur stupidité, sur le plan psychologique nous pouvons les interpréter comme représentants des émotions intenses, par conséquent inadaptées[16]. Ces " monstres " sont présents dans la mythologie de toutes les civilisations. Ils figurent "des états émotionnels archaïques"[17] et sont liés aux "énergies brutes de la nature"[18]. Dans notre roman, ils nous montrent quelles sont les forces maléfiques intérieures que le héros doit maîtriser et soumettre à son intelligence s'il ne veut pas être consommé par elles. Mais, à partir du moment où "cette pure émotion, pure énergie psychique"[19] est soumise à la conscience, elle la rend capable d'accomplir des tâches surhumaines. Et le Bel Inconnu, ne subira-t-il pas avec succès le terrible baiser du serpent?

Grâce à sa victoire sur les deux représentants du mal[20], qui sont "Lais et hidels et mescreans" (v.706), le Bel Inconnu obtient la reconnaissance de Clairie, et désormais il sera digne du respect d'Hélie. Pendant le repas "improvisé" après le combat, il tient aimablement compagnie aux demoiselles. Ce dîner, servi à côté du même feu qui fut le décors des scènes horribles, est caractérisé maintenant par une parfaite courtoisie, comme s'il voulait contrebalancer le comportement outrancier des deux créatures démesurées[21].

Ce repas symbolise le retour aux proportions humaines, à la mesure et à la modération. Le héros, psychologiquement parlant, a tué les deux êtres instinctifs bruts qui l'habitaient, et, par cette intégration partielle de son Ombre, est rentré en contact avec son Anima, représentée par Clarie et Hélie. C'est surtout l'amitié de la messagère qui va s'avérer précieuse car c'est elle, incarnant un des visages de l'Anima[22] qui conduira le héros auprès de Blonde Esmerée et qui l'aidera, avec ses conseils et ses interventions, dans ses aventures. Par exemple dans l'épisode suivant qui voit les trois compagnons de Blioblïeris interrompre la scène idyllique du petit groupe.Ces chevaliers, perfides et déloyaux[23], veulent attaquer le Bel Inconnu tous les trois en même temps, transgressant ainsi les règles élémentaires du code chevaleresque. Selon l'auteur, le héros serait capturé ou peut-être même tué si la messagère n'intercédait pas en sa faveur. Elle rappelle aux agresseurs que c'est une vilenie d'assaillir un homme désarmé (vv.1012-1017) et ses propos arrêtent les chevaliers.

Il faut noter par rapport aux compagnons de Blioblïeris qu'ils sont aussi méchants et cruels que lui, mais leur perfidie, en raison de leur nombre, s'en trouve triplée. L'opposition du Logos vis-à-vis de la pénétration des contenus inconscients dans la conscience symbolisée par Blioblïeris se trouve multipliée par trois. Réaction "logique" du Moi dominant aux premiers contacts avec les représentants de l'Anima (libération de Clarie, réconciliation avec Hélie). L'énergie brute que le héros a libérée en tuant les deux géants lui donne la force de battre trois chevaliers, incarnations d'une attitude hostile du conscient, la même nuit.

Les adversaires sont vaincus: mort, blessé ou prisonnier, et la lumière froide de la lune laisse la place aux rayons du soleil. Comme A. Guerreau l'a remarqué, ce triple combat est caractérisé par une "gradation claire"[24]: au fur et à mesure que la nuit se dissipe et que le jour arrive, on revient aux règles chevaleresques. Guillaume de Salenbrant est tué la nuit, en revanche, à la fin du troisième combat qui se termine à l'aube, le Seigneur de Saies se déclare prisonnier. L'attitude hostile du Moi s'apaise et, dans la figure du Seigneur de Saies, se reconnaît soumise à la lumière bienfaisante et revigorante d'une conscience élargie. C'est ce que nous semble symboliser la clarté du jour qui baigne le paysage après le dernier combat[25]:

"La bataille est ensi finee;
Li jors s'espart par la contree." (vv.1193-1194)

Il nous paraît intéressant de faire remarquer par rapport à cet épisode le contraste qui oppose le groupe de personnes formé par Blioblïeris et ses trois compagnons à l'autre groupe de quatre qui comprend le Bel Inconnu, Robert, Hélie et le nain. Le premier est caractérisé par l'homogénéité, le second par la diversité. Le gardien du gué et ses amis sont tous chevaliers accomplis (ils portent des noms !), nous apprenons également qu'ils sont des guerriers féroces et méchants. A propos de Blioblïeris, l'auteur mentionne son lignage: ses ascendants étaient déjà défenseurs du Gué Périlleux[26]. En face de lui s'est trouvé au début de l'histoire un jeune chevalier sans véritable nom (le "Bel Inconnu" désigne justement son anonymat), sans passé et sans lignage. Blioblïeris représentait tout ce que le Bel Inconnu avait à découvrir ou à retrouver, à l'exception des qualités guerrières. L'Inconnu a vaincu le gardien du gué, commençant ainsi à se faire une réputation que les victoires suivantes ne feront qu'augmenter. Le nombre accroissant de ses adversaires battus (un chevalier, deux géants, les trois compagnons de Blioblïeris) exprime bien ce progrès effectué vers une reconnaissance sociale. En termes jungiens nous pourrions dire qu'il se construit une Persona[27], un masque de bon chevalier après lequel il sera identifié et auquel il pourra s'identifier dans la société arthurienne.

Sur un plan symbolique c'est Robert qui incarne cette Persona, non pas dans le sens du parfait chevalier mais dans la mesure où il représente, par son statut d'écuyer, la chevalerie. Il a été "offert" au Bel Inconnu à la cour d'Arthur par Gauvain qui arma le jeune chevalier[28]. En tant que porteur des armes et chargé également de les renouveler pendant les tournois, ou qui aide son maître désarçonné à se relever[29], le personnage d'écuyer fait partie intégrale de la vie chevaleresque. Selon M-L. Chênerie, Robert représente un " réalisme plaisant " qui s'oppose aux " invraisemblances de la fiction " chez R. de Beaujeu[30]. Il est, en effet, étroitement lié à la société chevaleresque (son maître précédent était Gauvain) à laquelle il relie le héros. Porteur "professionnel" des valeurs guerrières (ne pourrait-il pas être adoubé à son tour s'il était plus riche?[31]), il symbolise la Persona du Bel Inconnu.

Autre membre du petit groupe qui accompagne le héros est la messagère, Hélie. La belle demoiselle richement vêtue surgit à la cour d'Arthur comme une apparition féerique. Ses cheveux blonds sont couronnés d'un diadème en or où sont incrustées des pierres précieuses[32]. Elle est envoyée par Blonde Esmerée ou indirectement par la Pucelle aux Blanches Mains, pour demander secours à sa dame. Comme "avant-garde" du monde de l'Eros, elle représente une figure de l'Anima qui remplit le rôle médiateur de celle-ci[33] dans la réalisation de l'union des contraires, de la conjunctio oppositorum. Sa relation avec le Bel Inconnu reflète en même temps les changements qui ont eu lieu dans le rapport du conscient et de l'inconscient au sein de la psyché du héros. Dans un premier temps, elle était extrêmement méfiante et hostile, comme l'inconscient qui, assailli par le Logos, refuse de s'ouvrir. Suite à la victoire du Bel Inconnu contre les géants, elle s'est réconciliée avec lui, et elle est devenue une sorte d'adjuvant, Anima médiatrice, qui le soutenait et le guidait dans la forêt menaçante de l'inconscient.

Le personnage de Tidogolain nous paraît plus difficile à cerner. Il est beau et courtois, son seul défaut consiste en sa petite taille[34]. Contrairement au nain d'Yder, son "corgie" sert à faire avancer le cheval de la messagère, en revanche, comme Guivret qui ne voudrait plus se séparer d'Erec après leur deuxième duel, Tidogolain accompagne le héros jusqu'à l'aventure principale. Il ferait ainsi exception dans la littérature romane où les nains sont souvent laids et perfides[35] mais correspondrait à l'image des nains bienveillants des mythologies ou des contes de fées[36].

Tidogolain est intimement lié à Hélie dont il conduit le palefroi et, à deux reprises, il essaie de calmer la colère que la demoiselle éprouve contre le Bel Inconnu[37]. Il se montre sage, tolérant, conciliant, et c'est ce dernier trait de caractère qui nous semble constituer son élément essentiel[38].

Si Blioblïeris et ses compagnons forment un ensemble homogène de quatre personne où les trois amis accentuent et renforcent la signification symbolique du gardien du gué, nous ne pouvons pas en dire autant de l'autre groupe de quatre. Les trois compagnons du Bel Inconnu représentent chacun un aspect du caractère du héros. Le côté guerrier, l'enracinement dans la société arthurienne et l'appartenance à la communauté chevaleresque sont symbolisés par Robert. La messagère incarne le rôle médiateur de l'Anima qui guide le jeune chevalier vers l'Autre Monde où il devra découvrir son complément féminin et le libérer de l'emprise du mal. Enfin le nain, ce conciliateur, nous paraît représenter l'harmonisation des deux aspects précédents, le "pont" qui pourrait les unir. Mais suivons le héros qui avance sur son chemin vers la Gaste Cité, et regardons s'il fait des pas en avant de la même façon sur la voie d'individuation aussi.

Sa quatrième aventure a lieu toujours dans la forêt, en plein jour, où il assiste avec ses compagnons à une scène de chasse: un cerf à seize andouillers, affolé, traverse la route devant eux. Parmi les chiens qui le poursuivent, on distingue un braque très beau mais blessé[39]. Hélie prend rapidement celui-ci "en vue de l'emporter à sa maîtresse"[40]. Quand le propriétaire réclame son chien, elle refuse quatre fois de le lui rendre[41]. Comment expliquer cet étrange comportement, ce manque de politesse voire cette agressivité? D'où ce caprice qui provoque un combat supplémentaire pour le Bel Inconnu? Quelle est la raison de cette contradiction dans l'attitude de la messagère qui, il n'y a pas longtemps, en entendant des cris désespérés dans la forêt, voulait dissuader le héros d'y porter secours et de s'engager ainsi dans une nouvelle aventure[42]? L'auteur voulait peut-être trouver un motif original pour raconter un combat de plus, à moins qu'il envisage de nous montrer que son héros est un défenseur inconditionnel des dames et des demoiselles. A ses réponses aléatoires nous ajouterions un dépouillement symbolique de l'épisode qui peut mieux éclairer son incohérence apparente.

Si le nom "Bel Inconnu" donné par Arthur au héros s'avère révélateur du personnage, le mot "Orgueilleux" ne l'est pas moins au caractère du chasseur. Celui-ci, digne de son nom, veut se procurer le superbe trophée de seize andouillers du cerf, démontrant ainsi sa force et sa puissance, sa maîtrise sur cet animal majestueux. Sa chasse victorieuse serait - symboliquement - d'autant plus précieuse qu'il dominerait ainsi le représentant de la fécondité et de l'ardeur sexuelle, le figure de la renaissance, l'annonciateur de la lumière qu'est le cerf[43]. Vouloir tuer cet animal puissant (n'oublions pas ses bois volumineux qui montrent son âge et sa force !) est déjà une preuve de trop grande estime de soi-même qui pousse à des ambitions excessives.

Ce chasseur orgueilleux possède un braque noir et blanc qui n'est pas plus grand qu'une hermine (vv.1287-1293). En examinant le chien comme symbole, nous nous apercevons de la complexité de l'image. Dans la mythologie celtique, il était associé au monde des guerriers, et comparer quelqu'un à un chien était une honneur[44]. D'une manière générale, dans les mythologies diverses, sa figure s'attachait à la mort ou à un rôle de psychopompe[45]. Sur un plan psychologique, M-L. von Franz le considère comme "essence de la capacité de relation"[46] et en élargissant cette explication, nous pouvons voir en lui un symbole du Soi, de l'union des contraires.

Plus l'objet de la représentation symbolique est petit, plus le symbole est fort et dense. C'est cette "condensation symbolique" qui fait de Guivret "l'image inoubliable de l'élan guerrier"[47]. Le braque de l'Orgueilleux de la Lande est petit aussi mais très joli. Il est de deux couleurs, des deux couleurs extrêmes, comme la tête du cheval d'Enide, offert par Guivret[48], ou la tête d'un autre palefroi que Gauvain se procure à la demande de la Male Pucelle[49]. Mais le noir et le blanc ne s'opposent pas seulement en termes de clair-sombre, leur antagonisme est renforcé par les matières auxquelles ils sont comparés:

"Plus estoit blans que nule nois,
Orelles noires come pois, " (vv.1287-88)

La froideur (et la blancheur) de la neige contraste avec le caractère brûlant (et noir) de la pois que l'on chauffait avant l'utilisation. Sur le chien nous ne voyons pas de ligne verte qui, comme sur la tête du cheval d'Enide, unirait les deux couleurs. Elles s'opposent irrémédiablement.

Il est important de remarquer que le braque est blessé:

"El pié ot ficie une espine" ( v.1297)

Cette invalidité l'empêche de remplir sa fonction de chien de chasse et oppose sa beauté à son inutilité. Vu les contrastes qu'il porte en lui, nous le traduirions plutôt comme symbole de l'union des contraires non réalisée, la blessure soulignant ce dernier aspect. Que la messagère s'empare de ce braque nous paraît hautement significatif: il n'aurait jamais guéri tandis que possédé, pour ne pas dire usurpé, par un chevalier qui dépassait la mesure. (Ne commet-on pas un péché capital en nous croyant, poussé par l'orgueil, égal à Dieu?) Par ce geste au premier abord incompréhensible et capricieux, Hélie, représentant d'une facette de l'Anima, indique le chemin à suivre pour le Bel Inconnu sur le voie d'individuation. Notamment que le héros doit prêter l'attention au complément féminin de sa psyché (le braque est destiné à Blonde Esmerée) parce que les prouesses guerrières et les actes héroïques (tuer le cerf à seize andouillers) peuvent aboutir à l'inflation de la Persona mais en aucun cas à la réalisation du Soi ( le braque s'est pris une épine dans la patte)[50].

Le Bel Inconnu s'incline, non sans peine[51], devant la volonté ferme de la messagère et s'engage ainsi à lutter contre le maître du chien. Il parvient à vaincre en ce personnage l'orgueil paralysant qui pourrait empêcher le développement des émotions, du domaine de l'Eros. Par sa victoire, il franchit symboliquement une étape importante dans l'individuation en ouvrant son esprit à l'écoute de l'inconscient.

Après avoir fait un long chemin, le Bel Inconnu et ses compagnons arrivent à une riche cité qui s'appelle Becleu. Elle est entourée d'une rivière abondante en poissons, et les terres fécondes, les nombreux moulins avec des vignes aux alentours témoignent de la profusion[52]. C'est une puissante place-forte que protègent de profonds fossés et de hautes murailles[53]. La ressemblance entre cette cité et celle de l'Ile d'Or, l'étape suivante du héros, est remarquable à la différence près que, dans le cas de l'Ile d'Or, un bras de mer remplace la rivière encerclant le ville.

Auprès de ce lieu, les voyageurs rencontrent une belle demoiselle, Margerie, qui est fille du roi d'Ecosse. En raison de sa beauté, de ses cheveux blonds, de sa peau blanche et des riches vêtements, comment ne pas penser à la figure surnaturelle de la fée, ou plus précisément, à la Pucelle aux blanches mains[54]? Comme celle-ci, Margerie aussi est devenue victime d'une coutume: elle n'a pas obtenu le prix de beauté, l'épervier, qui aurait dû la récompenser. Au lieu de cela, son ami était tué par le maître du précieux oiseau. Le Bel Inconnu décide de venger l'injustice (nouveau motif du combat !) et gagner l'épervier pour la jeune fille.

Quand ils rentrent dans la ville, les habitants remarquent aussitôt le heaume cabossé, le bouclier tailladé et le haubert déchiqueté de l'Inconnu, et en concluent qu'il est un bon guerrier. Depuis les propos de conciliation d'Hélie, c'est la première manifestation de reconnaissance sociale qui couronnent les victoires du héros[55]. Accompagné d'une grande foule, celui-ci se rend ensuite vers le verger auprès duquel est posé, dans un arbre fruitier, l'épervier d'une grande valeur. L'arbre, éternellement fleuri, se trouve juste au milieu d'un champ circulaire clos, lui-même à côté d'une église[56].

Cet emplacement nous rappelle l'endroit que le cloître occupe en général dans un monastère, construit contre la nef et le transept. Comme "la place biele et gente " (v.1679), le cloître est aussi un lieu fermé (d'où son nom !), interdit aux profanes. Aux milieu de la cour ou du jardin qu'il encercle, au croisement des deux chemins perpendiculaires, nous trouvons un puits, une fontaine ou un autre objet qui marque son point central. Mais, contrairement au champ de l'épervier, le cloître est carré et plus petit que l'église. Le jardin, cette parcelle de nature, et la galerie à colonnes qui l'encadrait servaient de lieu de méditation pour les religieux, leur évoquant peut-être la Jérusalem céleste[57].

Quant au champ circulaire, il ressemble aussi à un endroit idéalisé: notamment au Paradis. L'arbre de fruit qui fleurit perpétuellement ne nous rappelle-t-il pas l'arbre de vie planté au milieu du jardin d'Eden[58]? Si l'arbre de vie était intouchable pour Adam et Eve, l'épervier ne l'est pas moins pour les intrus à Becleu. Non seulement le protège l'interdiction de la coutume mais aussi la distance physique: il se trouve à une portée de flèche de la limite circulaire[59] qui signifie que l'on ne peut pas l'atteindre en tirant à l'arc. Ce caractère hors de temps et hors d'atteinte, son emplacement à côté d'une église rapprochent ce champ, dans sa valeur symbolique, au cloître du monastère. Les deux endroits évoquent, par leurs formes et par leurs aménagements, des lieux idéalisés comme le Paradis ou la Jérusalem céleste, qui, eux-mêmes, sont des symboles de l'individuation[60] ou de son but, de la réalisation du Soi:

"du centre de la personnalité totale, de la totalité psychique
composée du conscient et de l'inconscient "[61]

L'association de l'arbre et de l'oiseau semble renforcer cette valeur symbolique[62]. Dans notre cas, cet oiseau est un épervier qui, étant un rapace diurne, possède d'une part, l'agressivité des oiseaux chasseurs, mais dont le couple est caractérisé, d'autre part, par la domination de la femelle. Ce sont peut-être ces particularités qui ont fait dire à D.Poirion que l'épervier dans Erec et Enide est symbole d'une féminité agressive[63]. Chez Renaud de Beaujeu, nous interpréterions cet oiseau de proie comme représentant de la relation de Girflet et son amie où domine justement Rose Epanouie. Cette emprise de la femme est considérée anormale dans la mesure où Rose Epanouie est "laide et frencie" (v.1727), comme suggère déjà son nom. Les habitants de la cité sont convaincus que l'Amour a fait perdre la raison à leur seigneur pour qu'il puisse considérer son amie comme la plus belle. Le prix de la beauté est donc usurpé par GirfletGiflet, comme était le braque par Orgueilleux de la Lande dans un autre sens, et c'est au Bel Inconnu d'en finir avec la mauvaise coutume.

Dans le langage des symboles, sa victoire rend explicite le fait qu'il serait capable de surmonter une situation pareille à celle du maître de l'épervier. Comme le personnage de Mabonagrain montre ce que Erec serait devenu s'il était resté recréant[64], la relation de Girflet et Rose Espanie nous montre, en anticipant les événements, le danger que représente la domination d'une figure maternelle, autrement dit, la domination de l'Anima. L'épervier, lien symbolique entre terre et ciel[65], pourrait-il rester posé sur son perchoir en or dans l'arbre éternellement fleuri pour symboliser la réalisation de la totalité psychique, tandis qu'il est possédé par un chevalier qui a perdu le sens de jugement? L'auteur donne la réponse à travers son histoire: l'oiseau revient à celle qui le mérite et pour souligner le message symbolique (il faut retirer les projections de l'Anima de l'image fascinante de la mère), Hélie offre le braque à Margerie, à la princesse d'un royaume lointain.

Une fois que les cousines se sont dit adieu[66], le Bel Inconnu se dirige de nouveau vers la Gaste Cité. Mais son chemin lui réserve encore deux aventures avant son arrivée, dont la première aura lieu à l'Ile d'Or, dans une cité encore plus riche et encore plus protégée que le château de Girflet. La ville, située à une journée de chevauchée de Becleu, se trouve sur une île entourée par la mer, et ses hautes murailles qu'une flèche ne peut pas dépasser le rendent imprenable[67]. Sa richesse excède les mesures humaines: cent comtes habitent dans les cent tours de marbre rouge, et le palais seigneurial avec ses coupoles d'argent semble construit en cristal. Au sommet un escarboucle répand une telle clarté la nuit que l'on se croirait "en tans d'esté" (v.1916). Tout respire ici le merveilleux. Le château est construit avec de la magie, la maîtresse de l'île connaît bien l'art des enchantements.

Ce lieu magique qui semble être, comme les îles lointaines dans la mythologie, un Paradis perdu[68], ne représente pas non plus un état idéal. Les cent quarante-quatre pieux plantés près de la cité, dont cent quarante-trois portent les têtes coupées des chevaliers, préviennent le voyageurs d'un péril certain. Nous apprenons d'Hélie que, conformément à la coutume de sept ans, Malgier le Gris, le gardien redoutable du pont menant à la cité, défie depuis cinq ans tous les chevaliers qui veulent passer par la chaussée. S'il est victorieux pendant les deux ans qui lui restent à accomplir, il épousera la belle Pucelle aux blanches mains, maîtresse de l'Ile d'Or. Si un adversaire réussit à le vaincre, celui-ci prendra sa place pour sept nouvelles années. Tel est l'usage que la Pucelle elle-même a établi pour mettre à l'épreuve ses prétendants et pour pouvoir choisir parmi eux le meilleur.

Cette coutume dont nous ignorons le commencement pourrait paraître éternelle si le nombre des pieux (dont un seul vide) ne suggérerait pas un accomplissement imminent[69]. Le chiffre cent quarante-quatre est le produit de la multiplication de douze par lui-même, et le douze est " le nombre d'un cycle achevé"[70]. Comme cent quarante-trois pieux sont déjà coiffés de têtes, d'après le langage symbolique des nombres nous pouvons supposer que le cent quarante-quatrième, vide, portera la tête et le heaume du dernier chevalier tué au nom de la coutume.

Quant au chiffre douze, il faut souligner son importance dans la mentalité médiévale, pour ne mentionner que les douze apôtres, les douze portes de la Jérusalem céleste[71] ou les douze degrés de l'humilité et de l'orgueil relevés par Bernard de Clairvaux[72]. D'une manière générale, le symbolisme de ce chiffre est lié à la totalité pour la pensée humaine, que ce soit dans la vie quotidienne ou dans les mythes divers. Les douze jours de la maladie d'Enkidu avant sa mort[73], les douze travaux d'Heraclès, les douze chevaliers de la Table Ronde traduisent dans le langage mythologique le même symbolisme qui se concrétise dans la réalité par les deux fois douze heures du jour, les douze mois de l'année ou les douze paires de nerfs crâniens[74].

Le douze est composé de trois fois quatre, chiffres qui sont chargés de valeur symbolique à leur tour. Le trois, nombre "spirituel", correspond à

"l'intelligence intérieure, la réalisation de la conscience, l'unité retrouvée à un niveau supérieur, bref, à la gnose, la connaissance"[75]

Le quatre est un chiffre de nature différente. Tandis que le trois s'attache symboliquement aux " principes de mouvement intellectuel et physique "[76] et il " vaut comme symbole d'un processus dynamique "[77], le quatre et les nombre quaternaires " sont reliés qualitativement aux symboles de «la réalisation de la conscience de la totalité»"[78]. M.L. von Franz continue ensuite:

"Le fait que les tentatives d'orientation de l'humanité vers la totalité
possèdent un caractère quaternaire semble correspondre à une
structure archétypique dans l'homme. "[79]

Les structures quaternaires paraissent former un schéma ordonnateur naturel. Pensons aux quatre saisons, aux quatre points cardinaux, aux quatre bases composant l'acide désoxyribonucléique (ADN)[80] ou bien aux quatre éléments, aux quatre qualités alchimiques, aux quatre fleuves d'Eden, aux quatre évangélistes etc.[81]. Mais les chiffres trois et quatre jouent également un rôle important dans l'élucidation des récits mythologiques[82].

Les nombreuses occurrences des chiffres dans cet épisode méritent un examen plus attentif. Nous lisons dans la description de l'Ile d'Or que cent comtes habitent dans cent tours vermeilles à l'intérieur de la cité (vv.1897-1901). Vingt tours violettes soutiennent le palais de la Pucelle (vv.1917-1919) et celle-ci connaît parfaitement les sept arts libéraux (v.1933).Cent quarante-trois têtes sont affichées sur des pieux près de la tente de Malgier (v.2001) qui défend le pont depuis cinq ans (v.2005). Pour suivre la coutume de sept ans (v.2010, 2019, 2021), il doit rester victorieux pendant deux autres années (v.2007, 2033).

Si les nombres naturels se comportent comme les autres symboles[83], c'est-à-dire ils sont "significations", écrit Jung[84], il nous semble intéressant de dépouiller les chiffres cités plus haut.

Les cent tours habitées par cent comtes attestent, d'une part, la richesse de la cité, d'autre part, dans une interprétation symbolique, leur nombre, dix fois dix, évoque la notion de l'unité dans la pluralité[85]. Les vingt tours (deux fois dix) qui servent de support pour le palais construit par la magie, semblent porter la même valeur symbolique. Et si nous regardons le nombre total des "tors" à l'Ile d'Or (cent vingt, c'est-à-dire dix fois douze), cette évocation de la totalité semble être renforcée.

Le chiffre sept figure deux fois dans cet épisode en relation avec la Pucelle aux blanches mains. D'abord il apparaît dans l'expression "les set ars" (v.1933) pour détailler ce que la maîtresse de l'île sait faire[86], ensuite comme le nombre d'années durant lequel un chevalier doit observer la coutume. Dans les deux cas, le sept symbolise "un cycle complet, une perfection dynamique"[87], il indique "le sens d'un changement après un cycle accompli et d'un renouvellement positif"[88]. Symbolisme que l'on retrouve dans les sept jours de la création de l'Ancien Testament, dans les sept merveilles du monde ou dans le nombre sept des tribus dont les membres étaient, selon les mythes, les ancêtres des hongrois, et qui occupèrent le Bassin des Carpates au IXe siècle. De très nombreux exemples dans toutes les civilisations du monde illustrent que ce chiffre symbolise la perfection humaine et divine, la totalité de l'espace et du temps[89].

Quatre, sept, dix, douze - autant de symboles numériques de la totalité concernant l'Ile d'Or, royaume de la Pucelle, ce qui nous pousserait à voir dans ce lieu un symbole du Soi, de la totalité psychique. Le caractère protégé de la cité (par la mer et par les hautes murailles), sa prospérité et sa richesse représentent d'autres éléments qui nous font penser que cet "Autre monde féerique, lui aussi, est une image remarquable de la coincidentia oppositorum..."[90]. Mais l'Ile d'Or est-elle le symbole d'une bonne relation et d'un fonctionnement harmonieux du Moi et du Soi? Ou bien ne l'est-elle que potentiellement et c'est le héros qui doit agir, en comprenant les messages symboliques, de façon qu'elle le devienne réellement?

Dans son royaume, la Pucelle gouverne seule depuis longtemps en attendant qu'un chevalier réussisse à l'épreuve de sept ans. Son prétendant actuel, susceptible de respecter intégralement la coutume, est détesté par elle et par tous les habitants à cause de sa cruauté[91]. Cette situation n'est nullement idéale mais il ne peut en être autrement. Dans un langage symbolique elle reflète le stade où le Bel Inconnu se trouve dans l'individuation. Il veut toujours conquérir l'Anima avec de la force, en amplifiant sa Persona. La domination des valeurs guerrières dans la psyché du héros est symbolisé par le redoutable Malgier de même que par les cent quarante-trois têtes affichées avec le heaume - détail qui met l'accent sur le statut de chevalier des adversaires au détriment de leur individualité.

En même temps, Malgier représente ce côté de la psyché humaine que Jung a nommé Ombre et que le héros doit différencier et intégrer dans son conscient[92]. Il est méchant, féroce déloyal, incarnant ainsi toutes les qualités réprimées et non acceptées par le Bel Inconnu en lui-même, personnifiant ces aspects non admis de son inconscient[93]. Tout ce qui échappe à sa conscience est projeté sur la figure de Malgier, comme c'était déjà le cas des autres adversaires[94].

Avec sa victoire sur le défenseur du pont, le Bel Inconnu fait un grand pas en avant vers son épanouissement, mais sa première rencontre avec l'Anima ne mène pas à l'appropriation de celle-ci. La Pucelle devient support des projections des fantasmes sexuels et l'Anima est ainsi réduite à un être exclusivement personnel. Le héros a encore du chemin à faire sur la voie de l'individuation pour pouvoir intégrer son principe féminin.

Si la Pucelle aux blanches mains sélectionne ses prétendants par la coutume pour être sûre de choisir le meilleur[95], Lampart, le sénéchal de la princesse ensorcelée, procède de la même manière - mais dans un but différent. Il défie tous les chevaliers qui lui demandent son hospitalité pour n'héberger que les vainqueurs parmi eux. Les vaincus, accompagnés des habitants qui leur jettent des immondices, doivent quitter la cité. C'est "la costume male" (v.2614) de Galigans à laquelle aucun chevalier n'a encore réussi avant l'arrivée du Bel Inconnu.

Dans ce château, dernière étape avant la Gaste Cité, l'enjeu pour notre héros ne consiste pas seulement à obtenir l'accueil favorable du seigneur, mais à gagner, en faisant preuve de sa propre vaillance, la confiance de celui-ci. Sans les conseils du sénéchal, le Bel Inconnu serait perdu dès son arrivée au palais des deux magiciens. Devenir digne de la confiance de Lampart lui assure en partie la réussite à l'épreuve principale - élément que le héros ignore, bien entendu, en voulant se mesurer au seigneur. Celui-ci deviendra son adjuvant principal grâce à son savoir dont l'origine n'est pas moins mystérieux que celle de la fée. Car nous pouvons nous demander par quels moyens le sénéchal est au courant de la réponse à donner aux salutations des jongleurs ou bien de l'interdiction de pénétrer dans une salle. Comment peut-il connaître l'endroit précis dans le palais où il faut attendre l'aventure? S'il avait essayé lui-même de libérer sa maîtresse, il aurait été tué, ou la Gaste Cité ne serait plus "gaste". Qu'il soit en relation avec les enchanteurs paraît peu probable. Il ne reste donc que l'hypothèse selon laquelle Lampart possède des connaissances magiques[96] indispensables pour la délivrance de la cité ensorcelée. Ce fait, par contre, contribue à l'humanisation du héros qui, en ne faisant que suivre les recommandations du sénéchal pour éviter les pièges des magiciens, nous apparaît dépourvu de tout caractère surhumain. Son devoir est de combattre Mabon et Evrain avec des armes et, en tant que chevalier, habitué à utiliser le langage des lances et des épées, il est démuni des facultés nécessaires pour faire face aux tours de magie. S'il était capable de déjouer les artifices des enchanteurs sans l'aide extérieure, ses victoires perdraient de leur caractère héroïque et son personnage manquerait de cohérence[97].

Le combat au château de Galigans se distingue ainsi des autres épreuves qualifiantes car, en plus de la renommée, sa fin apporte un adjuvant important au Bel Inconnu. Il serait semblable, de ce point de vue, au premier duel de Guivret le Petit et d'Erec qui se termine avec l'amitié des deux hommes. Néanmoins, sur un plan symbolique, les deux épisodes sont différents. Dans l'interprétation de R.R.Bezzola, le chevalier de petite taille représente "la fougue dans la défense de l'honneur guerrier"[98] et la victoire d'Erec sur lui signifie le retour du héros isolé dans la société "par la voie du compagnonnage"[99]. Quant à Lampart, après avoir été un adversaire qui maintenait une coutume visiblement pour le plaisir de joute[100], il devient l'auxiliaire et guide indispensable du Bel Inconnu dans l'aventure principale. Dans des termes psychologiques, il serait le représentant de ce que Jung a appelé la "fonction transcendante", et que M-L. von Franz définit comme une

"faculté qu'a la psyché inconsciente de guider l'être humain arrêté dans une certaine situation vers une situation nouvelle, en le transformant"[101].

L'aide du sénéchal ne permet-elle pas au héros d'en finir avec les magiciens, derniers symboles de son Ombre? Ne rend-elle pas possible ainsi, indirectement, une deuxième rencontre avec l'Anima personnifiée par la princesse ensorcelée? Le personnage de Lampart symbolise, à nos yeux, ce processus naturel qu'est la fonction transcendante qui contribue au développement progressif du héros vers une attitude nouvelle[102].

Cette progression pourrait potentiellement s'achever dans la huitième et principale aventure. Le mariage de Guinglain avec Blonde Esmerée aboutirait à l'établissement social du héros de même qu'il symboliserait, comme l'hiérogamie mythique, l'union du principe masculin et de son complément féminin, l'unité du conscient et de l'inconscient, bref, l'accomplissement de processus d'individuation. Qu'il soit ainsi, le BI doit faire revivre la cité en ruines et assumer le rôle d'un souverain aux côtés de la princesse enchantée. La première tentative des héros romanesques pour réaliser ces deux tâches est souvent vouée à l'échec. Il suffit de penser soit à Yvain qui oublie de retourner auprès de sa dame dans le délai d'un an parce qu'il est obnubilé par les tournois, soit à Erec qui, pris par les plaisirs du mariage, néglige son devoir vis-à-vis de la communauté chevaleresque. Tous les deux doivent faire un long chemin avant d'établir un équilibre harmonieux, ainsi que le Bel Inconnu, vainqueur des deux magiciens, qui fuit le mariage et la couronne à cause d'un autre amour inassouvi.

Quand ce héros "qualifié" dans les épreuves précédentes arrive à la Gaste Cité, il se trouve devant la même tâche surhumaine d'un "rédempteur" que Perceval chez le Roi Pêcheur ou Erec au château d'Evrain: il faut remporter la victoire sur le Mal au bénéfice de la communauté[103]. Toute une ville est ruinée à Synadoun par les tours de magie des enchanteurs, il n'y a pas un être humain dans les rues. La vie n'est présente que sous une forme pétrifiée: des animaux et des plantes sont taillés dans le mur de marbre entourant la cité[104]. En ce lieu, antithèse de l'Ile d'Or, nous ne trouvons pas de bras de mer où circulent les navires des marchands pour assurer la profusion et la richesse. La Gaste Cité est encerclée de deux cours d'eau "bruians" (v.2779) présageant le danger qui attend le Bel Inconnu au-delà des murailles ou, autrement dit, symbolisant "l'angoisse qui étreint le chevalier avant une étape décisive de sa vie"[105]. C'est dans cette ville sans vie, dans son immense palais qui la domine et qui suscite la peur avec ses proportions inhumaines que le héros doit triompher de Mabon et d'Evrain pour délivrer la princesse ensorcelée et les habitants de la ville.

Il exécute son exploit en quatre temps. En premier lieu il échappe aux mille jongleurs, ensuite il combat Evrain puis Mabon, et pour conjurer l'enchantement d'une façon définitive, il subit le baiser du serpent[106]. Cette chaîne d'actions, plus particulièrement le Fier Baiser, constitue le point culminant de l'histoire non seulement du point de vue événementiel mais aussi sur le plan psychologique. D'une part, le Bel Inconnu accomplit l'aventure qu'il a entreprise au début du roman, sa mission est terminée, d'autre part, il arrive à un tournant décisif de sa vie. Si nous pouvons aisément reconnaître l'intérêt de cette épreuve dans le cadre du récit, en revanche, son importance dans l'interprétation symbolique de l'oeuvre peut nécessiter des éclaircissements.

D'emblée, il nous semble difficile d'expliquer le rôle des mille jongleurs qui jouent de mille instruments différents, chacun assis dans l'embrasure d'une fenêtre avec une chandelle de cire devant lui[107]. Leur musique agréable et leur courtoisie sont trompeuses, et c'est grâce aux recommandations de Lampars que le Bel Inconnu connaît la réponse appropriée à leur salutation polie[108]. Que leurs chants mélodieux, de même que leurs propos courtois, soient un piège, l'auteur le suggère également avec ces vers:

"Li autres gigle et calimele
Et cante cler comme serainne, " (vv.2890-91)

Est-ce un hasard s'il compare la voix pure d'un jongleur à celle d'une sirène?

La présence des jongleurs est liée non seulement à la musique mais à la lumière aussi, plus précisément la mélodie harmonieuse se trouve reliée à la clarté. Quand les musiciens font résonner leurs instruments, les chandelles sont allumées, quand ils arrêtent leur jeu, une obscurité recouvre la salle[109]. Cette alternance de musique-clarté et silence-obscurité marque le début et la fin des deux combats contre les magiciens, ainsi que l'opposition du clair-obscur rythme tout l'épisode de la Gaste Cité[110] et contribue à la dramatisation des événements. Pour créer une atmosphère terrifiante en l'absence des adversaires, les jongleurs se taisent et les chandelles sont éteintes. Le même silence et les mêmes ténèbres effraient le héros avant et après l'apparition du serpent qui, durant sa présence, illumine la salle.

Les musiciens font donc partie intégrante des enchantements en assurant un climat angoissant, soit par leur silence (et le manque de lumière[111]), soit par leur musique et la clarté de leurs chandelles qui accompagnent ou introduisent les combats. Bien entendu, la grande salle doit être éclairée pendant les duels, et faute de lumière naturelle, ce sont les mille chandelles des jongleurs qui émettent la clarté nécessaire[112]. Ce que nous pourrions considérer comme besoin "technique" est aussi l'expression symbolique d'un isolement complet du palais. Du monde extérieur, même les rayons de soleil sont interdits en ce lieu d'enchantements. Contrairement à l'Ile d'Or où le seul escarboucle sur le toit du palais répandait une luminosité d'été dans la ville, dans le palais de la Cité en Ruines les mille bougies éclairent un endroit clos. Si la lumière est un élément prépondérant dans le royaume de la fée[113], elle apparaît à la Gaste Cité dans le contraste de clair-obscur et fortement associée aux actes héroïques. La "grande clarté" de l'Ile d'Or (v.1915) met en valeur le caractère attrayant de ce monde merveilleux alors que la "grande clarté" du palais de Synadoun (v.2916), paraissant en alternance avec l'obscurité totale, connote les périls d'un lieu ensorcelé. Les jongleurs ne s'en vont-ils pas avec leurs instruments de musique et leurs chandelles une fois le corps de Mabon décomposé? Les enchantements brisés, ils doivent disparaître eux aussi.

Mais pour faire dissiper la magie noire, le Bel Inconnu doit affronter Evrain et Mabon, les deux enchanteurs. D'une façon révélatrice de la passivité du héros, celui-ci attend ses adversaires au milieu de la salle, à côté d'une table à sept pieds, son seul repère dans le palais ensorcelé.

Evrain surgit le premier d'une pièce obscure pour combattre l'Inconnu. En tant que chevalier armé, il ne semble pas être plus dangereux que les adversaires précédants du héros: l'auteur ne dit rien sur ses qualités guerrières ou victoires antérieures. Toutefois, en tant que magicien, il manque de tuer le jeune chevalier. De grandes haches descendent pour frapper celui-ci quand il poursuit l'enchanteur, disparu dans la pièce d'où il est sorti. Le héros a oublié pour un bref instant le conseil de Lampars et il a failli devenir victime de son ardeur impétueuse. Ce mécanisme mortel semble être l'image de la fougue guerrière qui, poussée à l'extrême, détruit son sujet emporté par un tel comportement excessif et unilatéral. Il serait possible en même temps de rapprocher sa signification symbolique de celle de la machinerie dans Yvain qui coupe le cheval du héros en deux à la porte d'entrée au château de Laudine. Les deux engins mécaniques représentent ainsi la féminité dangereuse, dévorante et destructrice, telle que l'incarne dans le Bel Inconnu la Pucelle aux blanches mains par son aspect maternel[114].

Dans le langage des symboles, le dénouement de ce duel indécis contre Evrain anticipe donc la continuation de l'histoire, et notamment le départ de Guinglain à l'Ile d'Or, son retour à l'amour exclusif de la fée qui l'éloignera du monde réel. Mais nous pourrions voir également dans cette scène finale du combat la "prophétie" symbolique de l'ambiguïté de la fin du roman. Car Guinglain, qui réussit à échapper aux haches mortelles, pourra aussi éviter l'amour possessif de la Pucelle aux blanches mains qui l'aurait définitivement écarter de son univers chevaleresque. Il partira une deuxième fois de l'Ile d'Or et consentira à son mariage avec Blonde Esmerée rejoignant ainsi la communauté des mortels qui le fera revivre dans sa fonction de chevalier exemplaire. En revanche, ces noces ne paraissent pas être la conclusion définitive de l'histoire[115] et la nostalgie de Guinglain éprouvée pour la fée, de même que son éventuel retour à l'Ile d'Or révèlent une nouvelle régression dans le processus d'individuation. La précarité voire l'échec de cette union symbolique à cause d'une figure maternelle prédominante est représentée par la fuite d'Evrain. Celui-ci, portant un bouclier vert et évoquant ainsi l'espoir, la regénérescence et le renouveau, disparaît dans une chambre défendue des haches - image de la mère dévorante. Au lieu d'atteindre un niveau supérieur de la conscience que connoterait le chevalier au bouclier vert, le héros "rechute" dans la nostalgie de l'utérus protecteur de la mère, symbolisé par la chambre obscure. Que cette pièce soit munie d'un mécanisme tranchant montre combien un pareil attachement intime à la mère peut être dangereux pour la réalisation du Soi[116].

Après un bref intervalle au cours duquel les jongleurs rallument leurs chandelles et recommencent à jouer de la musique, surgit le deuxième chevalier, de la même chambre latérale. Il est armé et il chevauche un destrier, ce qui confirme son statut de chevalier, malgré sa grande taille: les géants, en effet, ne portent pas d'épée et sont vêtus de peaux de bêtes[117]117. La grande stature de Mabon ne fait qu'hypertrophier ses qualités guerrières et sa puissance, de même que son armure noire, rappelant le diable, le prince des ténèbres[118]118, le rend inquiétant.

Sa monture n'est pas moins effrayante: le cheval porte une corne, crache du feu et ses coups de sabots font jaillir des flammes du sol. Son aspect diabolique accentue et amplifie le caractère effroyable de son cavalier. Il est intéressant de noter ici que le cheval est décrit en quinze vers(2992-2998; 3003-3010), alors que l'auteur ne consacre que six vers à la présentation de l'enchanteur (2990-2991; 2999-3002). L'alternance des passages se rapportant au cheval et au cavalier[119]119 efface quasiment la différence entre l'homme et l'animal et les réunit en une seule figure terrifiante. Le caractère diabolique de cette apparition est renforcé par la corne au front du cheval: le diable porte en effet presque toujours des cornes[120]120. Le feu ne rappelle pas moins facilement l'Enfer, d'autant plus qu'il est associé au chevalier noir:

"Il vint bruiant come tonnoires.
Ses armes furent totes noires.
La sale fu a pavement
Et li cevals ne vint pas lent,
Des quatre piés si fort marcoit
Que tot le pavement brisoit
Et fu et flame en fait salir;" (vv.3001-3007)

Cependant le feu est inextricablement lié à l'amour, à la sexualité. Par sa rougeur il évoque des émotions intenses, voire incontrôlées[121]121, et obtenir le feu par frottement ou par creusage serait l'imitation de l'acte sexuel[122]122. Dans ce court passage, nous sommes en présence de symboles phalliques, comme le pied du cheval qui creuse la dure pierre, ou le tonnerre qui accompagne l'éclair, fécondateur de la terre[123]123. La corne au front de la monture de Mabon renforce cette connotation sexuelle de l'image. Ce symbole, phallique par excellence, est évocateur de la puissance virile, du principe masculin actif[124]124.

L'association du feu et du cheval cornu enfourché par un grand chevalier noir donne naissance à une figure symbolique de la sexualité bestiale qui consomme son sujet. L'aspect diabolique de ce couple cavalier-cheval rejoint la représentation du diable tel que se le représente souvent l'imagination humaine: chargé de sexualité, voire personnifiant l'instinct sexuel[125]125. Dans cette optique, l'attitude du Bel Inconnu à l'égard de la Pucelle, caractérisée par la projection de fantasmes sexuels[126]126, est symbolisée par Mabon chevauchant un destrier infernal: cette apparition incarne une émotion intense dont la force pourrait submerger le Moi conscient et qui est, par conséquent, ressentie comme démoniaque[127]127.

Suite à sa victoire sur ce représentant de l'Ombre qu'est en définitive l'enchanteur, le Bel Inconnu exorcise le démon qui possédait Mabon. Une fois que le héros a touché le cadavre, une hideuse fumée s'exhale de la bouche ouverte du magicien et le corps se décompose en matière glaireuse. L'anéantissement, ou, plus précisément, la réduction du cadavre de Mabon, nous montre dans le langage des symboles que le Bel Inconnu a vaincu cet instinct destructeur qui l'habitait. En transformant la chair en fumée, la matière en une chose apparemment incorporelle, il semble avoir sublimé ses pulsions néfastes, devenant ainsi prêt à aborder, mais cette fois à un niveau de conscience supérieur, le problème de l'intégration de l'Anima.

Le magicien vaincu, les jongleurs sortent en cassant les fenêtres et leur départ provoque un tremblement de terre accompagné par un bruit insupportable. Ces images d'une grande animation symbolisent "un mouvement vers l'inconscient et marquent souvent le début d'une dissociation entre le Moi et l'inconscient"[128]128. Le Bel Inconnu s'écroule, puis se relève et cherche la table à sept pieds, son seul repère dans la salle. A ce moment de crise et d'incertitude, il invoque Dieu, et ses propos témoignent d'une prise de conscience, d'une révélation, que présageait symboliquement le combat suivi par la victoire sur Mabon[129]129.

Les premiers vers attestent qu'il est décontenancé, désemparé, ce qui est loin d'être inhabituel chez le héros. La forme passive de l'expression "livrés sui a grant martire" nous montre ce manque de volonté ferme qui caractérise le Bel Inconnu d'une manière générale. Tout se passe comme si les événements lui arrivaient et qu'il ne faisait que les subir.

Il a perdu tout espoir car il ne sait où aller ni où retrouver son cheval. Son état désorienté a pour corollaire la peur, qu'il essaie d'exorciser: un chevalier ne doit rien craindre. Mais, ce qui lui rendra ses forces et chassera ses inquiétudes, c'est l'amour de la Pucelle aux Blanches Mains, l'idée qu'il retournera chez elle et ne la quittera jamais. Il est intéressant de remarquer l'opposition du monde guerrier et de l'univers de l'amour dans ce monologue. L'équilibre y est parfait: les douze premiers vers ne comprennent que des notions concernant la vie chevaleresque ("destrier" v.3109, "chevalier" v. 3112, "aventure" v. 3113, "armés" v. 3114), alors que les douze derniers n'en comptent aucune. En revanche, nous trouvons cinq mots, dans cette deuxième partie, qui regardent l'amour: "amor" v.3115, "celi" et "amer" v. 3118, "la Damoissele as Blances Mains" v.3119, "amors" v. 3125.

Il serait possible d'analyser la bipartition de ces propos comme reflétant l'opposition entre le monde chevaleresque de la société arthurienne et celui du monde féérique dominé par l'amour. Mais, dans ce discours direct, nous ne trouvons pas de mots-liens qui opposeraient le guerrier à l'amoureux. L'enchaînement entre les deux parties de douze vers est assuré par l'adverbe "entemes", qui porte l'idée de gradation ou d'addition. Les propositions qu'il introduit apportent de nouveaux éléments à ce qui a été déjà dit: c'est surtout celui qui aime qui ne doit pas avoir peur. L'amour, plus que son bouclier ou sa cotte de maille, peut protéger un chevalier !

Ce vers commençant par "entemes" constitue une charnière dans le monologue. Comme en une révélation, le Bel Inconnu voit soudainement ce qu'il doit faire, par où il doit aller. Il s'aperçoit de l'importance de ses sentiments, de son amour pour la fée, qui lui redonnent de la force sur le champ et l'incitent à retourner à l'Ile d'Or. Contrairement à Philippe Ménard, qui juge dérisoires les plaintes du héros[130]130, nous pensons que ces propos sont cruciaux du point de vue de l'individuation. Dans une situation de crise, sans avoir écouté le conseil de quiconque, le Bel Inconnu prend une décision capitale, en comprenant l'intérêt représenté par le domaine de l'Eros, antérieurement négligé. Dès que possible, il partira demander merci à celle qu'il a quittée vilainement, autrement dit, il essaiera de renouer le lien avec ce monde des pulsions et des instincts qu'est l'Anima, et dont lui, jeune chevalier ambitieux, a minimisé le rôle dans sa vie. Une fois qu'il a formulé ces promesses et qu'il a compris l'importance de ce contact avec le côté féminin de la psyché masculine, le héros se sent revigoré, empli d'une nouvelle force:

"S'Amors me donne ja vigor
De rien que je voi n'ai paor" (v.3125-3126).

Ce monologue de vingt-quatre vers, si bien construit et si bien équilibré, peut être considéré comme un résumé du processus d'individuation du héros. Le jeune homme, au début de cette voie difficile, a déployé ses forces en vue d'acquérir une reconnaissance sociale, d'occuper une place dans la société arthurienne. Il s'est construit la renommée d'un bon chevalier (sinon du meilleur), ayant réalisé ainsi le développement d'un masque qui ne reflète pas sa personnalité, mais, au contraire, indique un "assujetissement général du comportement à la coercition de la psyché collective"[131]131. C'est à ce stade-là de l'individuation que se trouve le héros, au moment où il énonce ces propos. La voix lui révélant son véritable nom et l'assurant de ses qualités guerrières exceptionnelles marque le terme de la réalisation de sa Persona.

La seconde partie de son discours indique le chemin qu'il lui faudra emprunter pour avancer sur la voie de l'individuation. Il devra rétablir la relation avec le principe d'Eros, afin de pouvoir intégrer à son conscient les contenus encore indifférenciés de l'inconscient. C'est une des raisons pour laquelle l'action ralentit et que les marqueurs de temps disparaissent: le cheminement du héros continue, non pas à l'extérieur, dans des forêts ou châteaux divers, mais à l'intérieur de lui-même. Il ne combattra plus de gardien de gué ni de chevaliers orgueilleux, il devra "seulement" obtenir le pardon de la fée, tâche qui s'avèrera bien plus difficile que celle de vaincre les adversaires les plus redoutables.

Grâce à l'amour qu'il découvre en lui-même pour la fée et dont l'évocation suffit à lui redonner des forces, le Bel Inconnu subit le Fier Baiser et accomplit ainsi la mission entreprise au début du roman. Une voix lui apprend son vrai nom et son ascendance, lui attribuant ainsi une nouvelle personnalité. Le nom "Guinglain" est d'autant plus important, du point de vue symbolique, qu'il représente une dénomination individualisée, contrairement aux groupes nominaux bien plus généralisants de "Beau Fils" ou de "Bel Inconnu". Ces deux derniers font référence à un trait physique, à savoir la beauté extérieure du héros. Ils ne définissent pas le personnage en soi, mais le déterminent par rapport à quelqu'un ou quelque chose. "Beau Fils" implique une relation encore étroite avec la mère, car cette dénomination reflète un point de vue maternel. "Bel Inconnu" marque déjà un éloignement du foyer familial, mais exprime la non-intégration de l'individu dans la société qui ne (re-)connaît pas ce beau jeune homme. "Guinglain" est le nom véritable, attribué au héros comme récompense de ses exploits et comme signe de reconnaissance sociale, parce qu'il est le seul à définir sa personnalité elle-même.

La révélation du nom, contrairement à ce à quoi nous pourrions nous attendre, n'indique pas la fin de l'histoire. L'accomplissement de l'aventure principale n'est pas suivie d'un mariage ni d'un couronnement. La réussite à l'épreuve du Fier Baiser ne marque que l'achèvement de la perfection chevaleresque, autrement dit, la construction de la Persona; mais le processus d'individuation est à peine entamé. La tâche difficile de l'intégration des contenus inconscients, qui sont encore en grande partie projetés sur la Pucelle aux blanches mains, reste à réaliser. Le jeune héros ne peut pas apporter la régénérescence à la communauté de la Gaste Cité en acceptant la couronne et la main de Blonde Esmérée, parce qu'il n'a pas résolu, en lui-même, le problème de la différenciation et de l'intégration de son élément féminin, de son Anima. Et ce sera la seconde moitié du roman qui racontera le cheminement du héros vers cette finalité de l'individuation, qui consiste en la réalisation de l'union des contraires, de la conjunctio oppositorum, souvent symbolisée par le mariage mythique dans les récits imaginaires.

Conclusion

En nous interrogeant sur le rôle des adversaires et des aventures dans Le Bel Inconnu, nous pouvons fournir plusieurs réponses à la question. Si l'on considère la délivrance de Blonde Esmérée comme essentielle, comme la raison d'être du roman, les combats et épisodes qui la précèdent ne servent qu'à combler le récit jusqu'au Fier Baiser. En revanche, si l'on analyse le roman du point de vue structural, ces mêmes aventures revêtissent la fonction d'épreuves qualifiantes qui permettent de démontrer la valeur du héros. Sans adversaires, il n'y aurait pas d'exploits; sans victoires, l'Inconnu ne deviendrait pas Guinglain. Il est évident que l'aventure (ou l'épreuve) principale est la libération de la princesse ensorcelée, mais nous ne devons pas oublier que, d'une part, un jeune chevalier sans expérience ne pourrait réussir et que, par conséquent, il a besoin d'un apprentissage, et que, d'autre part, l'auteur veut nous raconter l'histoire de Guinglain, qui ne saurait se réduire à un ou deux épisodes.

Le roman du Bel Inconnu suit le héros dans son parcours d'individuation et nous montre les progrès qu'il effectue pour établir une relation entre son conscient et son inconscient[132]132. Après s'être éloigné de sa mère, condition sine qua non de l'individuation[133]133, et en cherchant sa place dans la société, il se construit une nouvelle personnalité, que nous pourrions nommer la Persona, d'après un terme jungien. Une fois ce masque acquis, l'individu doit parvenir à l'intégration des contenus inconscients dans son conscient.

Ces contenus ou archétypes, tels que l'Ombre ou l'Anima, sont représentés dans le récit par des personnages différents. Les adversaires semblent symboliser les défauts, le côté sombre du caractère du chevalier. Bliobliéris incarne une combativité poussée à l'extrême, semblable à celle des chevaliers brigands. Ses compagnons, au nombre de trois, rendent encore plus forte cette image d'un penchant excessif pour le combat, et le Bel Inconnu, en tuant le premier, en blessant le second et en faisant prisonnier le troisième, comprend qu'il est lui-même atteint par ce défaut typiquement chevaleresque, et s'en débarrasse progressivement.

Les géants représentent deux instincts démesurés (celui de procréer et celui de se nourrir), symbolisés par leur taille, tandis qu'Orgueilleux de la Lande porte en son nom le défaut qu'il personnifie. Giflet et Malgier nous montrent l'exemple de l'homme dont le côté féminin n'est pas reconnu à sa juste valeur et qui, par conséquent, est entièrement dominé par lui.

Si l'on suit l'ordre d'apparition des adversaires, Lampars devrait être le suivant, mais son rôle est différent de celui des autres. Il s'avère être un conseiller, et non un ennemi; c'est pourquoi il ne sera ni tué ni fait prisonnier. Nous pourrions l'assimiler au Donateur des contes merveilleux qui, après avoir imposé des épreuves au héros, lui donne un objet magique ou de bons conseils. Dans sa fonction bénéfique, qu'il ne revêt qu'à partir du moment où le Bel Inconnu l'a vaincu, il pourrait symboliser un contenu inconscient qui, tant qu'il reste inconscient, a un effet néfaste sur l'homme (pensons à la coutume du barbouillage à Galigans) mais qui, une fois intégré à la conscience, devient salutaire.

Evrain et Mabon sont les représentants privilégiés du Mal. Par leurs qualités viriles amplifiées et effrénées, ils symbolisent la force destructrice du Logos. Ne transforment-ils pas Blonde Esmérée en "guivre", par le simple attouchement d'un livre[134]134, objet par excellence lié au savoir? Ne peut-on les caractériser comme actifs, efficaces, lorsqu'on évoque leurs apparitions devant le Bel Inconnu?

A travers ces personnages, nous voyons prendre forme des caractéristiques de l'homme qui sont ressenties comme démoniaques en raison de leur démesure.

"Toute qualité portée à son extrême bascule dans son opposé si elle n'est pas contrebalancée par une autre: les qualités viriles de courage, d'action, de curiosité intellectuelle et d'efficacité, si elles sont développées de façon linéaire et sans frein, deviennent froides et sans âme; ce ne sont plus alors les qualités viriles positives qui apparaissent, mais leur ombre destructrice."[135]135

En résumant la signification symbolique des adversaires, nous pouvons dire qu'ils incarnent à nos yeux des qualités que le héros réprime, qu'il refuse d'accepter et qui, par conséquent, finissent par forger une seconde personnalité autonome[136]136. Pour la réalisation de son équilibre psychique, le héros doit différencier ces composantes de sa personnalité et les rattacher à la conscience. A notre avis, c'est ce processus psychologique qui est symbolisé par le rituel du combat: il s'agit de vaincre l'adversaire et de l'envoyer comme prisonnier à la cour d'Arthur, où le chevalier méchant deviendra Compagnon de la Table Ronde.

Au milieu du roman, au moment du Fier Baiser, le Bel Inconnu est arrivé au stade de l'intégration de son Ombre. La tâche difficile qu'il lui reste à accomplir consiste à dissocier les projections de la figure de la fée, de cette mère-amante, et à intégrer son aspect féminin, c'est-à-dire l'Anima, dans son conscient. Comme nous l'a démontré Jean-Claude Aubailly dans La fée et le chevalier[137]137, c'est le sujet de la plupart des romans arthuriens ou des lais merveilleux.




[1] RENAUD DE BEAUJEU, Le Bel Inconnu, éd. WILLIAMS (G.P.),Paris, Champion, 1978; CHESTER, Thomas, Lybeaus Desconus, éd. MILLS (M.), London, Oxford University Press, 1969; PUCCI, Antonio, Carduino, éd. RAJNA (P.) dans Poemetti Cavalereschi, Bologna, 1873; WIRNT VON GRAVENBERG, Wigalois, éd. KAPTEYN (J.M.N.), Rheinische Beiträge und Hülfsbücher zur germanischen Philologie und Volkskunde, 9, Bonn, 1926.
[2] Cf. vv.420-423.
[3] Cf. vv.223-227 où Arthur lui octroie le don de devenir compagnon de la Table Ronde.
[4] Cf. vv.338-340.
[5] Cf. JUNG (C.G.), Aïon, Trad. de l'allem., Paris, Albin Michel, 1983, p.27 ou encore ID., Métamorphoses de l'âme et ses symboles, Trad. de l'allem., Genève, Georg, 1989, pp.499-500.
[6] Pour la signification symbolique de l'or et de l'argent, cf. les articles respectifs du Dictionnaire des symboles, dir. CHEVALIER (J.) et GHEERBRANT (A.), Paris, Robert Laffont, 1982, ou DURAND (G.), Les structures anthropologiques de l'imaginaire, Paris, Dunod, 1984, p.54 et p.166, ou encore FRANZ (M-L. von), L'ombre et le mal dans les contes de fées, Trad. de l'allem., Paris, La Fontaine de Pierre, 1979, p.120.
[7] Cf. CHANDÈS (G.), "Amour, mariage et transgressions dans Le Bel Inconnu à la lumière de la psychologie analytique", in Amour, mariage et transgressions au Moyen Age, Université de Picardie, Actes du colloque des 24, 25, 26 et 27 Mars 1983, Göppingen, Kümmerle Verlag, 1984, pp.325-327.
[8] Pour le comportement hostile de Blïobliéris cf. vv.409-426.
[9] Cf. CHÊNERIE (M-L.), Le chevalier errant dans les romans arthuriens en vers des XIIe et XIIIe siècles, Genève, Droz, 1986, p.150.
[10] Ibid., p.153.
[11] Cf. LECOUTEUX (J.),Les monstres dans la pensée médiévale européenne, Les Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, 1993, p.98.
[12] Cf. CHÊNERIE (M-L.), op. cit. p.171.
[13] Cf. LECOUTEUX (J.), op. cit. p.135.
[14] Cf. Dictionnaire des symboles, article "coeur".
[15] La massue, l'arme des géants, le symbole de l'animalité selon Paul Diel (cité par G. Durand, op. cit. p.184), amplifie le caractère instinctif de ces créatures.
[16] Cf. FRANZ (M-L. von), L'ombre et le mal... p.42.
[17] Ibid., p.308-309.
[18] Ibid., ou encore ID., L'interprétation des contes de fées, Trad. de l'angl., Paris, La Fontaine de Pierre, pp.148-149 et p.177.
[19] Ibid., p.311.
[20] Cf. vv. 734-744.
[21] Cf. vv. 937-945.
[22] A notre avis, Hélie représente ce visage de l'Anima que Jung a appelé "psychopompe féminin" (Cf. ID., Mystérium Conjunctionis, Trad. de l'allem., Paris, Albin Michel, 1980, p.266.), qui a le rôle médiateur d'établir la communication entre le conscient et l'inconscient. C'est pour cette raison, et non pas pour "banaliser les compliments qui plaisent tant aux dames " (Cf. CHÊNERIE (M-L.), op. cit. p.484) qu'elle apparaît au début du roman belle et splendide comme une fée (Cf. son portrait vv.135-156). Les figures de l'Anima son toujours fascinantes et subjuguantes.
[23] "Or s'en vont li trois conpaignon
Qui de cuer sont fier et felon." (vv. 585-586)
[24] Cf. GUERREAU (A.), "Renaud de Bâgé: Le Bel Inconnu. Structure symbolique et signification sociale" in Romania, CII, 1982, p.53.
[25] Jung écrit à ce propos: "La «lumière» est un équivalent symbolique de la conscience et la nature de la conscience est exprimée à l'aide d'analogies tirées de la lumière." Cf. ID., Commentaire sur le "Mystère de la Fleur d'Or", Trad. de l'allem., Paris, Albin Michel, 1979, p.38.
[26] Cf. vv.421-423.
[27] Sur le problème de la Persona, voir plus particulièrement JUNG (C.G.), Dialectique du Moi et de l'inconscient, Trad. de l'allem., Paris, Gallimard, 1964, pp.115-118.
[28] Cf. vv.264-271.
[29] Sur le rôle de l'écuyer, cf. FOSSIER (R.), La société médiévale, Paris, Armand Colin, 1991, p.277. ou CHÊNERIE (M-L.), op. cit. pp.286 et 332.
[30] Cf. FOSSIER (R.), op. cit. p.124.
[31] Ibid., p.277.
[32] Voir sa description vv.135-156.
[33] Voir supra, note 22.
[34] Voir son portrait vv.157-169.
[35] Sur ce point Claude Lecouteux (Cf. op. cit. p.70) semble contredire D. Poirion pour qui le nain, contrairement au géant, est un personnage bénéfique (Cf. POIRION (D.), Le merveilleux dans la littérature française du Moyen Age, Paris, P.U.F., "Que- sais-je?", 1982, p.102.).
[36] Cf. FRANZ (M-L. von), L'ombre et le mal..., pp.290-291 et ID, La femme dans les contes de fées, Trad. de l'angl., Paris, La Fontaine de Pierre, 1984, p.118.
[37] Cf. vv.307-316 et vv.490-497.
[38] Nous ne voyons pas Tidogolain comique comme le veut M-L. Chênerie. Cf. op. cit. p.236. note 337.
[39] Cf. vv.1278-1297.
[40] "Le bracet dist qu'en portera
Et a sa dame le donra." (vv.1303-1304)
[41] Cf. vv.1322-1326; 1330-1332; 1340-1343 et 1361-1362.
[42] "Del remanoir forment li prie,
Et dist: « Quiers tu dont aventures?
En ton cemin en a de dures.
Ja de ço ne t'estuet penser
Ne fors de ton cemin aler;» " (vv.658-662)
[43] Cf. Dictionnaire des symboles, article "cerf".
[44] Ibid., article "chien" et FRANZ (M-L.von), Rêves d'hier et d'aujourd'hui, Trad. de l'allem. Paris, Albin Michel, pp.111-115.
[45] Cf. FRANZ (M-L.), Rêves..., pp.111-115.
[46] Cf. FRANZ (M-L), L'interprétation..., p.157.
[47] Cf. BEZZOLA (R.R.), Le sens de l'aventure et de l'amour. (Chrétien de Troyes), Paris, Honoré Champion, 1968, p.170.
[48] Cf. CHRETIEN DE TROYES, Erec et Enide, éd. ROQUES (M.), Paris, Honoré Champion, C.F.M.A., 1981, vv.5274-5281.
[49] CHRETIEN DE TROYES, Le Conte du Graal, éd. MELA (Ch.), Paris, Librarie Générale Française, Lettres gothiques, vv.6732-6733.
[50] La scène de chasse dans cet épisode peut être interprété comme un "constat" symbolique nous montrant jusqu'où le héros est arrivé dans le processus d'individuation. Les bois à seize andouillers du cerf laissent penser que l'animal symbolise, par le renouvellement de sa ramure et le nombre des ramifications, la nouvelle personnalité du Bel Inconnu qui pourrait naître une fois le Soi, c'est-à-dire "l'expression la plus complète de ces combinaisons du destin" réalisé. (Cf. JUNG (C.G.), Dialectique du Moi..., p.258.)
Mais le cerf se trouve poursuivi par un chasseur orgueilleux, qui représente le comportement inadapté du héros pour atteindre le but de l'individuation. Le Moi conscient doit humblement renoncer à sa prétendue omnipotence pour pouvoir intégrer les contenus inconscients: c'est ce que montre Hélie au Bel Inconnu par l'appropriation du chien blessé en orientant l'attention du jeune chevalier vers le côté féminin de sa personnalité.
[51] Hélie va jusqu'à dire: "Parler vos oi de grant folie,
Car le bracet n'ara il mie." (vv.1361-1362)
[52] Cf. vv.1501-1512.
[53] Cf. vv.1513-1516.
[54] Voir la description de Margerie, vv.1525-1551.
[55] Cf. vv.1665-1674.
[56] Pour la description du lieu, voir vv.1585-1588 et 1685-1697.
[57] Cf. articles "cloître" et "Jérusalem" dans le Dictionnaire des symboles.
[58] Cf. Genèse, 2, 9.
[59] Cf. vv.1694-1697.
[60] Cf. JUNG (C.G.), Les racines de la conscience, Paris, Buchet/Chastel, 1971, pp.51-52.
[61] Cf. ID., Métamorphoses de l'âme..., p.603. ou encore ID., Aïon, pp.244-245.
[62] Cf. ID., Les racines..., p.414.
[63] Cf. op. cit. p.75.
[64] Cf. GYÖRY (J.), "Proligomènes à une imagerie de Chrétien de Troyes", Cahier de civilisation médiévale, 1967, n°3-4, p.382-383.
[65] Cf. FRANZ (M-L. von), L'ombre et le mal..., p.75.
[66] Hélie et Margerie sont de proches parentes. Cf. vv.1843-1847.
[67] Cf. vv.1883-1896.
[68] Cf. FRANZ (M-L. von), L'ombre et le mal..., p.322.
[69] M-L. Chênerie écrit au sujet du dernier pieu en attente: "Si le meurtrier n'est pas encore là, cette menace d'un absent peut être l'adaptation d'un accès périlleux, réservé, à l'Autre Monde;..."(Cf. op. cit. p.304). En effet, la main de la Pucelle est réservée pour le Bel Inconnu, ce qui expliquerait la défaite de Malgier et de ses prédecesseurs.
[70] Cf. Dictionnaire des symboles, article "douze".
[71] Cf. Apocalypse, 21, 12.
[72] Cf. KÖHLER (E.), L'aventure chevaleresque. Idéal et réalité dans le roman courtois, Paris, Gallimard, 1974, p.22, note 42.
[73] Cf.L'épopée de Gilgamesh, éd. AZRIÉ (A.), Paris, Berg International, 1979, p.123.
[74] Un très important de ces nerfs qui émergent de la base du crâne, le pneumogastrique, innerve l'appareil digestif, le coeur et les voies aériennes.
[75] Cf. FRANZ (M-L. von), Nombre et temps. Psychologie des profondeurs et physique moderne, Trad. de l'allem., Paris, La Fontaine de Pierre, 1983, p.134.
[76] Ibid., p.115.
[77] Ibid., p.117.
[78] Ibid., p.115
[79] Ibid., p.126.
[80] C'est la combinaison d'adénine, thymine, guanine et cytosine en triplettes qui sert de "code" dans la composition des vingt acides aminés et dans la production de toutes les protéines du corps.
[81] Pour le symbolisme du "quatre" comme représentant de la totalité, cf. JUNG (C.G.), Les racines..., pp.361-369; ID., Mystérium conjunctionis, t.I., pp.38-40 et JACOBI (J.), Complexe, archétype, symbole, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1961, pp.137-145.
[82] Cf. FRANZ (M-L. von), Nombre et temps, p.159. Nous mentionnons ici l'étude d'Alain Guerreau sur Le Bel Inconnu où il a démontré un rythme ternaire dans la première partie du roman (cf. ID., "Renaud de Bâgé: Le Bel Inconnu. Structure symbolique et signification sociale.", Romania, 1982, CIII, pp.28-82.).
[83] Cf. FRANZ (M-L. von), Nombre et temps, p.88.
[84] Cf. JUNG (C.G.), Lettres, II, London, 1976, pp.399-400, cité par M-L. von Franz dans Nomre et temps, p.32-33.
[85] Le dix est la somme des quatre premiers nombres naturels.
[86] En parlant des chiffres il est intéressant de remarquer que les sept arts libéraux sont regroupés en trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et en quadrivium (arithmétique, géométrie, musique, astronomie): le premier groupe serait considéré de nos jours comme sciences humaines contrairement aux quatre autres disciplines qui formeraient le groupe des sciences naturelles, à l'exception de la musique.
[87] Cf. Dictionnaire des symboles, article "sept".
[88] Idem.
[89] Idem.
[90] Cf. GALLAIS (P.), La fée à la fontaine et à l'arbre, Amsterdam, Rodopi, 1992, p.123.
[91] Cf. vv.2029-2032 et vv.2045-2053.
[92] Cf. JUNG (C.G.), Dialectique du Moi..., p.160.
[93] Cf. FRANZ (M-L. von), L'ombre et le mal..., pp.11-13. et JUNG (C.G.), Mystérium conjunctionis, t.I., p.304.
[94] Daniel Poirion explique différemment le rôle de Malgier, en opposant "l'amour tyrannique" de la Pucelle à "l'amour constructif" de Blonde Esmerée: " Le fantasme de l'amour pour la mère est donc conjuré par l'idéal de la jeune fille. La rivalité avec Malgier peut alors s'interpréter comme l'affirmation de soi par l'identification au rôle paternel, étape d'une construction de la personnalité après laquelle le héros poursuit son initiation jusqu'à la découverte de son nom." (Cf. ID., op. cit., pp.83-84.)
[95] "Ele savoit bien, sans mentir,
Que cil qui porra furnir,
Que tant est buens qu'avoir le doit;
Por l'esprover iço faisoit." (vv.2025-2028)
[96] Ses cheveux gris (v.2588) ou son "statut" de chevalier parfait (vv.2595-2596) suggèrent une grande expérience de la vie qui, dans son cas, va de pair avec un savoir secret. Il nous fait penser au "vieux sage", au "maître et instructeur supérieur", personnifiant "l'archétype de l'esprit qui représente le sens préexistant caché dans la vie chaotique" (Cf. JUNG (C.G.), Les racines de la conscience, p.52.)
[97] Le Bel Inconnu est caractérisé par une irrésolution, par une incapacité à prendre des décisions sans demander conseil à la messagère ou à son écuyer. C'est un élément important qui oppose le Bel Inconnu à Lybeaus Desconus, au héros entreprenant, audacieux et jamais hésitant.
[98] Cf. BEZZOLA (R.R.), Le sens de l'aventure..., p.173.
[99] Idem.
[100] C'est un caractéristique qu'il partage avec Guivret.
[101] Cf. FRANZ (M-L. von), L'ombre et le mal..., p.325.
[102] Pour plus de détails concernant la notion de la fonction transcendante, cf. JUNG (C.G.), Types psychologiques, Trad. de l'allem., Genève, Georg, 1986, pp.473-475. et ID., Psychologie de l'inconscient, Trad. de l'allem., Genève, Georg, 1989, pp.146-147 et p.177.
[103] Cette idée de chevalier rédempteur apportant le salut à la société entière est omniprésente dans l'ouvrage cité d'Eric Köhler. Cf. L'aventure chevaleresque..., p.78, pp.114-115., p.207. ou p.259.
[104] Cf. vv.2859-2864.
[105] Cf. CHANDÈS (G.), "De quelques châteaux étranges dans le roman arthurien: fonction «initiatique» et valeur symbolique" in C.E.R.M.E.I.L.: Merveilleux, mythe et initiation. Actes du IIe colloque international sur le "merveilleux" à Narbonne du mardi 27 au vendredi 30 août 1985, n° 5-6, p.32.
[106] Cf. vv.3127-3199.
[107] Cf. vv.2880-2899.
[108] Ce motif de faire le contraire de ce qui est demandé, fréquent dans les contes populaires (Cf., THOMPSON (S.), Motif-Index of Folk-Literature. A classification of Narrative Elements in Folktales, Ballads, Myths, Fables, Mediaeval Romances, Exampla, Fabliaux, Jest-Books and Local Legends., Coppenhagen, Rosenkilde and Bagger, 1955-1958, vol.2. et vol.3., motifs D1783.4. "Power over monster obtained by reversing orders; hero does exact opposite of the command; H580.1. "Girl must do opposite of commands".), constitue le coeur du premier épisode dans Carduino. A cette étape sur son chemin vers la cité ensorcelée, Carduino demande l'hospitalité dans le château d'une enchanteresse. Celle-ci lui propose de passer la nuit avec elle dans son lit à condition qu'il fasse toujours le contraire de ce qu'elle lui dit:
"Disse la dama: « Ora m'intenderai. / Quand'io ti chiamo dentro, non venire: / S'i'dico, non venire, e tue verai. / Odimi bene e sie sanza falire: / Di ciò ch'io dico contradio farai» " (Secondo Cantare, strophe 13)
Malgré ces instructions sans équivoque, Carduino obéit à la première injonction de la dame et il quitte sa chambre pour la rejoindre. Aussitôt a-t-il franchi le seuil que la pièce se transforme en une rivière impétueuse au-dessus de laquelle le héros reste suspendu toute la nuit, tenu par quatre géants. Cf. Secondo Cantare, Strophes 12-17.
[109] Cf. vv.2971-2978.
[110] J.T. Grimbert consacre un article à l'utilisation du clair-obscur dans Le Bel Inconnu, plus particulièrement dans les épisodes de l'Ile d'Or et de la Gaste Cité. Selon le critique, la forte présence de ce contraste dans tout le roman souligne l'essentielle bipolarité de la narration. Cf. ID., " Effects of Clair-Obscur in Le Bel Inconnu", in Courtly Literature: Culture and Context, eds. BUSBY (K.) and KOOPER (E.), Amsterdam-Philadelphia, John Benjamin's Publishing Company, 1990, pp.249-260.
[111] Cf. vv.2963-2970. et vv.2979-2980.
[112] Cf. vv.2916-2918.
[113] "Cristal", "argent", "solaus", "esté", "luissoit", "resplendissoit" évoquent la "grant clarté" qui domine dans la description du palais seigneurial à l'Ile d'Or. Cf. vv.1908-1916.
[114] Concernant l'interprétation de l'épisode dans Yvain, cf. GYÖRY (J.), "Proligomènes...", p.36. et CHANDÈS (G.), Le serpent, la femme et l'épée. Recherches sur l'imagination symbolique d'un romancier médiéval: Chrétien de Troyes., Amsterdam, Rodopi, 1986, pp.167-169.
[115] Cf. l'épilogue, vv.6247-6266.
[116] "Jung a dit à l'occasion que l'homme qui entretenait un lien fort avec la mère risquait sans cesse de revenir à elle en courant pour se réfugier dans son giron dès qu'il rencontrait quelque déception dans sa vie, et pour obtenir d'elle ce qu'il n'arrivait pas à se procurer par ses propres efforts." FRANZ (M-L. von), Rêves d'hier..., p.57. Le Bel Inconnu n'avait-il pas tout ce qu'il désirait chez la fée?
[117] Cf.. LECOUTEUX (J.), op.cit.,pp.68-69.
[118] Cf. DURAND (G.), op. cit. p.100.
[119] Cf. vv.2990-2991 pour Mabon, vv.2992-2998 pour le cheval, vv.2999-3002 pour Mabon et vv.3003-3010 pour le cheval.
[120] Cf. JACOBI (J.), op. cit., p.126.
[121] Cf. FRANZ (M-L. von), L'ombre et le mal..., p.135.
[122] Cf. BACHELARD (G.), La psychanalyse du feu, Paris, Gallimard; pp.47-67. ou encore JUNG (C.G.), Métamorphoses de l'âme..., pp.255-265.
[123] Cf. JUNG (C.G.), Métamorphoses de l'âme..., pp.460-463 et 520-522.
[124] Cf. JACOBI (J.), op. cit., p.126. et DURAND (G.), op. cit., p.159.
[125] Cf. POIRION (D.), op. cit., pp.11-12 et JUNG (C.G.), Métamorphoses de l'âme..., p.461.
[126] Cf. vv.2466-2470.
[127] Cf. FRANZ (M-L. von), L'ombre et mal..., p.282.
[128] Cf. JUNG (C.G.), Métamorphoses de l'âme..., pp.347-348.
[129] Cf. vv.3103-3126.
[130] Cf. MENARD (Ph.), Le rire et le sourire dans le roman courtois en France au Moyen Age (1150-1250), Genève, Droz, 1969, p.201.
[131] Cf. JUNG (C.G.), Dialectique du Moi..., p.84.
[132] Ibid., p.244.
[133] Cf. JUNG (C.G.), Métamorphoses de l'âme..., p.658, note 168.
[134] Cf. vv.3341-3342.
[135] Cf. FRANZ (M-L. von), L'ombre et le mal..., pp.402-403.
[136] Cf. JUNG (C.G.), Mystérium conjunctionis, t.I., p.304. ou FRANZ (M-L. von), L'ombre et le mal..., pp.11-13.
[137] Cf. AUBAILLY (J-Cl.), La fée et le chevalier. Essai de mythanalyse de quelques lais féeriques des XIIe et XIIIe siècles., Paris, Honoré Champion, 1986, pp.142-145.



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